L'arc de la terreur

Vers 1777 le grand Jean Jacques Rousseau reçoit dans sa petite cabane d'Ermenonville un jeune étudiant en droit venu lui présenter ses respects. Après avoir reçu par courrier la demande d'entrevue du petit homme quelques jours avant, l'auteur du Contrat Social et de l'Emile accepta de lui accorder audience. Lui qui se permettait de snober toute l'intelligentsia du tout Paris des lumières de même que le Roi Louis XV en personne. Mais pour ce jeune inconnu il accepta contre toute attente...

Le jeune homme se présente avec les usages, baisse de ses mains tremblantes sa paire de lunettes teintés dévoilant des yeux pleins d'admirations et d'amour pour laisser entrevoir son visage poupon. Il approchait de la vingtaine mais en paraissait dix de moins. L'entretien ne devait pas être bien fameux : " Fais de ton mieux pour essayer de rendre les hommes meilleurs "
C’est sur ces mots que Rousseau abandonna son hôte du jour. Maximilien de Robespierre - le futur tyran avide de sang - venait de rencontrer son idole...

13 ans plus tard , assis sur sa table de travail, Robespierre " le cuistre guillotineur " range une lettre qu'il vient de lire à plusieurs reprises dans un tiroir de dessous de table. Basculant la tête en arrière les yeux au ciel et en s’affalant sur son siège il se remémore ce jour d'été 77 lorsque la tête pleine de rêve et l'échine recouverte de frissons il avait vu Jean Jacques. Ses poumons se gonflent d'air à mesure que son cœur se remplie de nostalgie. Quand soudain les sons d'un toquement de porte viennent perturber sa douce rêverie mélancolique. La fille Duplay - la belle et dévouée Éléonore - annonce l'arrivée de son invité.
Un jeune picard étudiant en droit dans la vingtaine mais qui en paraissait dix de moins. L'auteur même de la lettre que Robespierre venait de ranger et dans laquelle cet inconnu qui attendait derrière la porte, lui demandait une entrevue. Cette même lettre qu'il avait lu et relu et qui lui faisait penser en son fort intérieur qu’il y a des années de çà il aurait pu lui-même écrire cette épistole enflammée à la syllabe près...
Le jeune homme entre dans la pièce les yeux déterminés et la démarche sûre. Ses cheveux trop en abondance pour un homme, portés mi-long en s'éparpillant sur ses épaules détonnent. Ses fines lèvres rouges lacèrent son visage de fille orné d'un diamant porté sur la seule oreille droite... Il commence : " Je ne vous connaissais que comme héros mais aujourd'hui j'ai l'honneur de me présenter à vous"

Saint-Just venait de rencontrer son modèle. Après tant d’année, enfin il pouvait l'approcher, et même lui parler, plus encore lui serrer la main.

Cette même main que - des années plus tard, une fois couvert de gloire et de prestige après ses exploits aux armées du Nord - Saint-Just tendra lui même au petit Nodier qui se précipitera non pas pour la serrer mais pour lui appliquer un baiser