Sans dire un mot par Morgouille
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A la page 8, j’en étais déjà à mon dixième soupir d’exaspération. Le livre commence à la page 5. Et il est imprimé en police taille 26. (On peut également se demander pourquoi les livres d’alphabétisation sont mis en page comme des ouvrages en grands caractères : les lecteurs adultes débutants ont-ils également tous des problèmes de vue ? Mais c’est un autre débat…)
Première page : le ciel est clair, Sarah a la peau blanche et douce, ses yeux sont gris, très clairs et très doux. Deuxième page : la vie est très simple et très légère. Troisième page : (je répète) le ciel est clair, il y a un brouillard très léger, les mouettes sont blanches, les goélands sont gris, Sarah porte un sac léger. Oh et marcher 12km, « c’est long mais ça ne pèse pas lourd » (admirez l’effort !). Quatrième page : (attention, là c’est du lourd… mouhaha !) « La mer est belle, le chemin est beau, Sarah est belle, le matin est beau, la vie est claire. » Plus bas, « le chemin est léger ». (Et ne me demandez pas comment un chemin peut être léger…)
Non, vous ne rêvez pas, moi aussi j’avais l’impression qu’on m’avait attachée sur une chaise, les yeux grands ouverts par du papier-collant, devant Les Télétubbies. (« Lala a un nouveau chapeau. Le chapeau de Lala est beau. » Voyez, on s’y croirait.)
Alors, je me trompe peut-être mais dans ma tête, l’analphabétisme, c’est l’incapacité de lire et d’écrire, pas de s’exprimer à l’oral ni de comprendre une langue parlée. Alors pourquoi, POURQUOI, ce livre ressemble-t-il à une histoire écrite par ma sœur quand elle avait 6 ans ?! Et encore, elle avait déjà nettement plus de vocabulaire… En un sens, je peux comprendre la nécessité de répéter les mêmes mots pour que le lecteur débutant puisse s’imprégner des lettres qui les composent, mais faut-il pour autant dénuder le style jusqu’à ce qu’il n’en reste rien, si ce n’est une soupe gagatisante de phrases courtes – sujet verbe complément, sujet verbe complément, sujet verbe complément ? Ne peut-on pas répéter les mots plus subtilement ? Et doit-on obligatoirement brûler son dictionnaire des synonymes avant d’écrire un bouquin pour un tel public ?
Bon, je l’avoue, je ne connais absolument pas le public ciblé ni les livres qu’ils lisent habituellement dans leur apprentissage, donc il est possible que je sois un peu dure (ahaha) et que ce livre soit adapté pour les adultes en cours d’alphabétisation… d’où ma première question : qu’est-ce que vient faire ce livre dans la sélection du prix Indications, face à trois autres livres qui ne visent pas le même public ? Quel est l’intérêt pour les lecteurs non-débutants de lire un tel roman ? Un roman aussi vide d’histoire et d’ambiance que de style, qui plus est.
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