Laure Adler est une féministe fort plaisante car, contrairement à nombre de ses collègues (hommes ou femmes d'ailleurs), elle est à la fois intelligente et documentée. Son style est formidablement universitaire, arborant une objectivité qui, implicitement, devient très vite subjectif. Si le féminisme nous rappelle surtout l'époque d'après-guerre (de 1944 à 1975 en passant par 1968), on ne connaît que très mal la condition féminine entre 1830 et 1930. Pourtant, cette époque est formidablement instructive et constitue le nœud de la libération féminine. Laure Adler retrace l'histoire de cette cellule primordiale du couple dans cette période à travers cinq sujets importants : les fiançailles, la sexualité dans le couple, la maternité, l'adultère et le divorce (dont l'argumentaire des opposants de l'époque fleure bon la Manif pour Tous). Finalement, ce livre nous apprend la précarité de cette lutte et les conséquences parfois tragiques d'un conservatisme insupportable.
Le livre est plaisant car il est truffé de références d'époque qui nous laissent un goût amusé et amer, de plus, il est efficace et instructif. Point trop de moralisme ou de psychologisme dans le constat fait par l'auteure quand elle contemple le moralisme et le psychologisme de charlatans qu'ils soient médecins, journalistes, politiques ou idéologues. La morale qui nous frappe finalement est que la condition féminine dans le couple est loin d'être aboutie et si elle est plus plaisante en droit, elle est loin d'être réelle en fait, aujourd'hui encore. En effet, et c'est peut-être là le seul point négatif du livre, la réalité sociale et économique, pourtant essentielle, semble avoir été un peu éludée : car hier comme aujourd'hui, la condition féminine semble plus plaisante chez les riches que chez les pauvres, venant contredire le constat du sociologue Alain Touraine sur les NMS consistant à dire que les anciennes luttes sociales sont démodées, tandis que le féminisme, l'homosexualité, etc ont pris leur place). Loin de dénigrer ces luttes, elles doivent pourtant être menées en même temps que la lutte sociale, ce qu'oublie un peu Laure Adler qui ne fait pas coïncider la réalité sociale, et la réalité féminine. Ce qui est vrai dans ce livre, c'est tout de même que la condition sociale de la femme aggrave le machisme qu'elle subit, et que tout de même, la principale évolution des moeurs s'est produite dans la IIIème République de fait, et que son évolution juridique s'est faite surtout (outre le divorce), pendant la Vème. Ironie de l'histoire. A lire de toute urgence.