— Les Etats-Unis doivent retourner sur la lune, déclara Cornélius Fox en s’adressant à l’audience.
Le vieil homme fit rire les représentants du New American Dream, un think-tank très fermé qui réunissait une vingtaine de membres, choisis parmi les industriels, banquiers, assureurs et patron de média les plus influents du pays.
Nombre d’amateurs auront reconnu dans ces phrases un hommage évident à Jules Verne : Cornélius Fox/Philéas Fogg, un think-tank à la place du Gun Club ou du reform Club, un excentrique lançant un défi... Et c’est bien sous le patronage de l’illustre père de la SF française que se place Jean-Pierre Goux tout au long de ce roman. « Divertir et éduquer » indiquait le contrat liant Jules Verne à son éditeur Hetzel ; l’auteur du Siècle Bleu semble s’être donné le même objectif.
Si Cornélius Fox veut relancer l’exploration de l’espace, ou plutôt forcer le président nouvellement élu à renvoyer la NASA sur la lune, c’est pour mettre la main avant les Chinois sur l’Hélium 3, meilleur combustible pour les futures centrales à fusion.
De son coté, Abel Valdés Villazon est chercheur et dirigeant d’une startup installée dans le dôme qui a servi à l’expérience biosphère 2 au milieu du désert de l’Arizona. Préoccupé par les problèmes environnementaux et lassé du manque de résultat des ONG traditionnelles comme Greenpeace, Abel décide de créer l’organisation radicale Gaïa. Celle-ci organise des coups d’éclat contre les pollueurs et auteurs de divers massacres, n’hésitant pas à recourir à des méthodes qualifiées d’éco-terroristes par les gouvernements visés. Mais l’association devient le bouc émissaire évident lorsqu’une explosion mystérieuse décime l’expédition lunaire.
Ecologie, retour des USA sur la Lune, duel américano-chinois, lutte contre le terrorisme et restriction des libertés : Jean-Pierre Goux a bâti l’intrigue de son roman sur un concentré de sujets d’actualité. Mais loin d’aligner des banalités, c’est à un travail minutieux que nous avons affaire. Tout d’abord, l’auteur s’est extrêmement documenté sur les thèmes qu’il aborde, apportant énormément d’informations aussi bien dans les secteurs techniques tels que le spatial, l’écologie, la biologie ou la cryptographie, que dans des domaines plus philosophiques ou politiques. Ensuite en bâtissant une intrigue de grande envergure, il pousse le lecteur à dévorer ces 486 pages jusqu’au bout sans guère faire de pause, entremêlant intelligemment exposés scientifiques, discours politiques et scènes d’actions. Enfin il compose une galerie de personnages suffisamment nombreux pour présenter les multiples aspects de l’histoire sans perdre le lecteur (le blog de Paul Gardner, astronaute amateur embarqué sur concours pour représenter les citoyens américains dans le voyage lunaire en est un très bon exemple).
Certes, on pourra trouver quelques légers reproches : des prises de position peut-être trop appuyées, une utilisation inutile du chamanisme, quelques allusions dispensables à la France et certains personnages un peu caricaturaux (comme le directeur financier et les deux flics qui l’arrêtent en plein désert). Mais ce sont des points de détail ; Siècle Bleu est un excellent techno-thriller qui se lit avec avidité et dont on ne peut qu’attendre impatiemment le second tome. Enfin signalons que si le roman se termine par un cliffhanger annonçant cette suite, l’intrigue de ce premier opus est complète et autonome.