Un polar sombre et puissant
Principalement connu pour avoir écrit les romans de la saga Sailor & Lula (dont le premier fut adapté à l’écran par David Lynch), Barry Gifford est également poète et scénariste de films ; on lui doit notamment d’avoir co-signé avec Lynch le scénario de Lost Highway. Elevé dans une famille assez atypique puisque son père entretenait des relations étroites avec la pègre de Chicago et de La Nouvelle Orléans, Gifford mena une enfance chaotique, vivant la plupart du temps dans des hôtels. Le plus étonnant fut qu’il réussit néanmoins à boucler ses études universitaires avant de s’engager dans l’Air Force. Après une carrière avortée dans le base ball professionnel, Gifford se consacra intégralement à l’écriture, en tant que journaliste et écrivain. Sa production est particulièrement marquée par l’influence de la Beat generation, à laquelle il consacra un excellent essai co-écrit avec Lawrence Lee, Les vies parallèles de Jack Kerouac.
Un peu à part dans la production littéraire de Barry Gifford, puisqu’il n’appartient pas à la série des Sailor et Lula, The Sinaloa story est un roman court mais d’une densité tout à fait remarquable. L’histoire démarre de manière terriblement classique. Delray Mudo, mécanicien sans histoires, rencontre dans un bordel du Texas la très belle et très dangereuse Ava Varazo, qui, sans trop forcer son talent, le convainc de monter un coup aux dépens d’Indio Desacato, un obscur dealer/mac totalement fou d’Ava et propriétaire d’un beau magot. Delray quitte donc son boulot et suit Ava jusqu’à Sinaloa... évidemment, c’est à partir de là que Gifford déploie toute la mesure de son talent. Jusque là maîtrisé mais sans surprise, le roman bascule de manière abrupte et cueille le lecteur à froid pour le faire entrer dans une nouvelle dimension, encore plus sombre, certainement moins confortable, mais assurément largement plus convaincante.
Ecriture sèche qui va droit à l’essentiel, personnages bruts de décoffrage, chez Gifford la violence explose sans prévenir, au détour d’une phrase et le lecteur la prend en pleine poire. On cherche en vain un fil directeur entre les différents fils narratifs, mais Gifford s’y refuse, offrant un récit étrange et destructuré à mille lieues des intrigues carrées et bien ficelées du polar classique. Une fois la dernière page tournée, le lecteur est toujours tenaillé par cette angoisse instillée tout au long du roman, abandonné par un auteur qui lui lègue davantage de questions que de réponses. Une seule certitude, après cette lecture votre foi en l’humanité aura encore baissé d’un cran.
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