Le monde, suite à la seconde guerre mondiale (qui aura duré 20 ans), est dominé par deux puissances qui se partagent la planète : d'un côté l'Allemagne nazie et sur l'autre hémisphère le Japon. Plusieurs siècles se sont écoulés et la structuration du rêve nazi est totalement achevée depuis longtemps. Hitler est vénéré comme une divinité, la seule qui subsiste d'ailleurs. Les gens, nazis compris, ne savent pour la majorité d'entre eux, plus lire. Ils n'en ont d'ailleurs guère besoin, les seules publications encore existantes étant des manuels techniques et la Bible Hitler, fondement de toute chose. Les femmes sont considérées comme des animaux, tondues et juste bonnes à enfanter. Si elles accouchent d'une fille, c'est une honte. Si c'est un garçon, il leur sera retiré dès le plus jeune âge pour être éduqué par leur père, leur génitrice n'ayant aucun droit sur eux. D'ailleurs, nul lien n'existe entre hommes et femmes, ces dernières pouvant être saillies par le premier mâle venu dès leur puberté. Les non nazis sont logés à la même enseigne et traitent les femmes de la même façon et aucune mixité n'est permise entre nazis et autres races asservies. Des chevaliers, éminents nazis, gèrent des régions entières et demeurent les seuls dépositaires d'un fragment du savoir de jadis. Ils sont également les thuriféraires de la foi hitlérienne et célèbrent le culte mensuel de ce géant blond et barbu d'essence divine.
Ce monde est structuré, hiérarchisé, sans imagination aucune, de la part de qui que ce soit.
Comme le dit à un moment un de ces chevaliers au héros de l'histoire : " Mais nous n'avons plus accès désormais à cette vie si riche du point de vue de l'esprit et des sentiments que les hommes vivent lorsqu'ils ont un but, un but qui les dépasse, aussi absurde soit-il. Nous ne pouvons rien créer, rien inventer. Nous sommes allemands. Nous sommes sacrés. Nous sommes parfaits. Et nous sommes morts".
Les humains ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes dans ce monde sans âme. Katharine Burdekin, qui a écrit Swastika Night dès 1937, dépeint ici un futur qui pourrait survenir si l'Allemagne gagne la guerre et va au bout de sa démarche mortifère. La grande majorité de cette uchronie est composée de dialogues entre un voyageur et un chevalier. L'ignorance du premier, ou plutôt le conditionnement sociétal dans lequel il vît depuis sa naissance, limites ses vues. Mais ces échanges se révèlent fructueux et l'autrice se sert de ces moments pour dresser un tableau de l'horreur qu'est devenu ce monde. S'il était déjà sans doute facile à l'époque, pour un écrivain britannique, de pointer l'extrémisme et les dérives possibles du régime nazi, il se révélait sans doute bien plus ardu de critiquer la condition inférieure de la femme dans la majorité des pays. L'autrice, sous un pseudonyme masculin, en profite donc, sous le sceau de l'infamie totalitaire, pour exagérer la condition animale de la gente féminine en forçant le trait par moment mais pas systématiquement. D'aucuns ont dû à l'époque grincer des dents tant la place de la femme comme procréatrice assujettie était encore la norme. La façon dont en parlent les personnages s'avère édifiante. Après des siècles d'obscurantisme, il ne leur prêtent même pas la capacité à penser ou de choisir hors de la volonté de l'homme, appelé "maître" avec une servilité intériorisée.
La narration habilement menée par l'autrice fera immanquablement réfléchir le lecteur. Reste que l'histoire est plutôt austère, propice à la cogitation et âpre au fur et à mesure que se dévide le fil de l'infâmie. L'épilogue est brutal, comme ce monde à l'agonie.