Quand on découvre Swastika night, on serait tenté de penser qu'il s'agit d'une uchronie. Jugez plutôt : l'histoire se déroule dans une Europe entièrement dominée par les Nazis. Hitler a été divinisé et un culte à son nom a été établi.
700 ans se sont écoulé depuis la victoire des Allemands et de leurs alliés japonais, et le monde est entièrement dominé par l'un ou l'autre Empire. Les Juifs ont été éradiqué, et se sont les Chrétiens (désormais considérés comme déviants) qui ont endossé leur rôle dans la société nazie.
Tous les livres ont été brûlés, la culture quasiment éliminée, et le monde vit dans l'ignorance totale de ce qui s'est réellement passé 700 ans plus tôt, le roman national nazi ayant complètement falsifié l'Histoire.
Sauf que ce n'est pas une uchronie, car ce roman a été publié en 1937, par l'anglaise Katharine Burdekin, sous le pseudo de Murray Constantine ! Cette édition est la première traduction française de ce texte.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que la vision de Burdekin est à la fois brillante, et terrifiante. Brillante car imaginer un monde nazifié en 1937, avec autant de précision et d'éléments plausibles implique de s'être penché sérieusement sur l'idéologie nazie, et d'en avoir bien assimilé les concepts et les implications, et terrifiante finalement, pour les mêmes raisons.
La société décrite par Burdekin fait froid dans le dos car elle est plausible. Les Nazis ont rabaissé les femmes au rang d'animaux que l'on parque à l'écart des hommes et qui n'ont d'autres vocations que de "pondre" des garçons (de préférence) pour l'Allemagne et les hommes eux sont dévolus à la guerre, l'agriculture et l'industrie, sous la supervisation des Chevaliers, sorte de super-nazis chargés du culte d'Hitler et de l'administration du Reich.
Les peuples vaincus, eux, sont réduits au rang de citoyens de seconde zone, avec toujours cette distinction homme / femme très marquée. À ce niveau, on ne parle plus de patriarcat, mais de Phallocratie.
Le ton du roman est étonnamment moderne et parle sans fard d'homosexualité masculine, les hommes ayant appris à mépriser les femmes s'en détournent, limitant leur rapport aux femmes à la seule fonction reproductrice. L'un des points d'intrigue du roman repose d'ailleurs sur la baisse drastique du nombre de naissance de filles qui, à terme, pourrait entraîner l'extinction de l'Humanité.
En filigrane, se dégage une thématique féministe forte, le rôle des hommes accentuant l'injustice et l'ignominie faite aux femmes dans ce Reich triomphant. On comprend de plus entre les lignes que la critique du machisme ambiant du roman est aussi une charge contre les mâles contemporains de Burdekin.
Je ne veux pas trop en dire sur l'intrigue du roman, mais disons simplement qu'heureusement, tout n'est pas noir. Une lueur d'espoir semble subsister dans ce monde devenu ignare, violent et finalement arrivé dans une impasse.
Un roman d'anticipation dystopique donc, qui est ma foi de fort belle tenue et qui vaut la découverte. Notons que l'ouvrage se termine en prime par une post-face sur les romans ayant imaginé un Reich gagnant la seconde guerre mondiale, que ces textes aient été rédigés avant la dite guerre (et on se rend compte que dans les années 30, il y en a quand même eu une poignée) ou après.