C’est cru mais pas que. C’est violent mais pas que. C’est choquant mais pas que. Ça transpire le sexe mais pas que. C’est à la fois un incroyable roman d’initiation et une formidable chronique sociale sur l’Amérique pauvre de l’après-guerre. Le Jack, on a envie de le baffer, de le prendre dans ses bras, de lui hurler dessus, de le prévenir de la merde dans laquelle il va inévitablement se fourrer, de pleurer avec lui sur les échecs qui ont balisé son chemin. Parce qu’à force, on le connait par cœur. Un gentil gars manquant de confiance en lui, facilement colérique, plutôt influençable, la déveine collée aux basques, qui « pense avec sa queue » et qui finit toujours par détruire le peu qu’il est parvenu à construire.
On l’accompagne en se disant « jusque-là tout va bien » et en sachant que ça ne va pas durer. Non, Jack n’est pas de la race des vainqueurs, il ne fait pas partie de ceux à qui on peut promettre le grand soir. Comme nous, il n’est pas dupe, il a compris que chaque lueur d’espoir n’est qu’une chimère. Il a beau faire semblant d’y croire, il sait qu’il lui sera impossible de s’extraire de sa condition de prolo, il a conscience que la vie ne fait pas de cadeaux à un gamin sorti du ruisseau comme lui. Pas pour autant qu’il se lamente. Résigné, fataliste ou enthousiaste, Jack avance, sans savoir où il va, sans penser à demain, se demandant juste « comment on fait pour vieillir sans avoir la trouille. »
Earl Thompson ne ménage pas son personnage au destin inspiré de sa propre vie. Son écriture est fluide, directe, sincère, dans une langue très orale. C’est beau, drôle, triste, tragique, affligeant, révoltant, poignant, toujours sans concession. C’est plein d’amour, de mort et de sexe, de vies au bord du vide, de putes, de salauds, de bouges crasseux, de coups foireux et de réveils solitaires dans des draps froids. Un grand roman américain, aussi puissant qu’envoûtant.