Dans tous les sens
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Louis de Gouyon Matignon affirme que Testament manouche est « plus qu’un simple travail ethnographique » (p. 7) ; je ne dirai pas plus, mais autre chose : l’ethnographie ne consiste pas – et s’y résume encore moins – à proposer différentes photographies d’une communauté en l’accompagnant d’un texte qui sonne avant tout comme une sorte d’hommage anthume…
Le véritable sujet – à mon sens – de l’ouvrage est celui-ci : l’acculturation progressive d’un peuple dépourvu de tradition littéraire, au point que sa langue même disparaît. Alors l’auteur écrit au nom de ce peuple. Un jeune aristocrate des beaux quartiers qui dit avoir découvert la culture manouche en jouant du Django Reinhardt, puis voulu approfondir, est-il le mieux placé pour cela ? Je ne suis pas sûr… Transposez la même démarche à la culture rasta – pour ne rien dire de ces fils-et-filles-à-papa qui s’amusent à vivre comme des clochards le temps d’un week-end printanier – et vous rirez ou pleurerez. Mais admettons qu’une particule à demi ministérielle puisse être lourde… Après tout, si critiquer un livre n’est pas plus intéressant que juger son auteur, c’est plus honnête – et je connais plus d’une crapule des Lettres qui bénéficie d’une mansuétude bien supérieure.
Là où la question demeure. c’est que Testament manouche, en tant que livre de photographie, est extrêmement quelconque. Seules de trop rares images, en rompant l’impression de tourisme qui se dégage de l’ensemble, parviennent à créer quelque chose comme une intimité – en tout cas aux yeux du lecteur sédentaire. Je ne suis pas non plus arrivé à y lire que l’ouvrage entendait « photographier un instant précis de l’histoire des Manouches : la transition entre hier et demain, la disparition d’un monde de traditions et d’identités » (p. 7).
Quant aux quelques pages de texte qui ouvrent l’ouvrage, elles ont parfois le mérite de prendre parti : « Lorsque l’identité (donc la culture mêlée à la lutte) disparaît, l’âme disparaît. […] Les premiers touchés par ce phénomène de disparition identitaire sont les cultures minoritaires (celles des économies minoritaires) : elles disparaissent peu à peu » (p. 7). L’expression disparition identitaire m’a mis aux aguets, comme toujours – et à plus forte raison sous la plume d’un représentant de la noblesse – lorsque j’ai lu ce passage. Puis j’ai trouvé amusant qu’un auteur qui ne fait pas vraiment partie des « économies minoritaires » (cela dit, l’expression est intéressante) parle de lutte… Mais sa définition de l’identité – complètement bidon – me semble révéler l’un des défauts d’un travail aux ambitions intellectuelles pourtant élevées : l’absence d’un appareil conceptuel sur lequel appuyer des analyses solides. Faute de réflexion, on en reste au stade de l’hommage bien écrit mais fort convenu.
Mais ce qui m’a le plus gêné à la lecture de Testament manouche, c’est que les Manouches n’y parlent pas : Louis de Gouyon Matignon y est un porte-parole, qui en tant que tel ne laisse pas s’exprimer ceux qu’il entend représenter. Alors que dans Rude Beauté (1), par exemple, dont le cadre est dans un sens assez proche de celui de Testament manouche, les sujets sont des sujets parlants. Certains liront de la générosité dans Testament manouche, j’y vois une forme de paternalisme – l’une n’excluant pas l’autre.
En dernière analyse, plus que l’œuvre elle-même, c’est la démarche l’ayant produite qui importe : Testament manouche s’apparenterait à une œuvre conceptuelle et politique à la fois.
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Créée
le 20 déc. 2017
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