La plongée dans la création de l’album le plus sombre des Cure

Philippe Gonin est un universitaire qui a écrit plusieurs très bons ouvrages sur Pink Floyd (entre autres). Il nous raconte ici en un peu moins de 100 pages l’histoire d’un des meilleurs albums des Cure, sorti en 1982, le dernier volet de la « trilogie glacée » commencée avec Seventeen Seconds et poursuivie avec Faith. À ce moment-là, le groupe et en particulier son leader, Robert Smith, sont épuisés par des tournées incessantes et des abus en tous genres. L’ambiance de cet album va être sombre, très sombre. L’auteur parle d’«un cri brutal et sauvage jeté à la face de l’auditeur, qui va entendre et voir défiler des visions apocalyptiques et d’horreur durant 40 minutes ». La mort y est un thème omniprésent dans pratiquement chacun des 8 titres de l’album. Il suffit de penser à l’oiseau mort de « A short term effect », du cri « Leave me to die » dans « Siamese Dreams », dans « Cold » ou encore la chanson titre. Les 1ers mots de l’album dans « One hundred years » sont d’ailleurs « It doesn’t matter if we all die ». Robert Smith voulait atteindre la noirceur absolue pour transcrire dans quel état d’esprit il se trouvait à cette époque. Et il se nourrissait pour cela de nombreuses références littéraires : Baudelaire, Kafka, peut-être Lautréamont mais surtout John Milton, un poète anglais du XVIIe s, auteur de Paradise Lost qui semble avoir eu une grosse influence sur cette oeuvre. Smith n’était pratiquement pas préoccupé par le fait qu’on comprenne ou pas le sens de ses paroles, affirmant que « même si les mots ne sont pas explicites, tu reçois un feeling et c’est ça qui compte ». Un des chefs d’œuvre des Cure, sans doute même leur chef d’œuvre, le groupe atteignant là un sommet. Gonin a reçu l’aide pour rédiger son ouvrage d’un témoin direct de l’enregistrement puisqu’il a été en contact avec le coproducteur Phil Thornalley. Pourtant, aucun titre ne réussit vraiment à être extrait en single, le seul sera «The hanging garden» un peu par dépit, sans doute écrit à la suite d’un cauchemar (une hallucination ?) de Smith, car l’album a été pensé comme un tout, pas un disque construit autour d’un single évident et pouvant passer à la télé et à la radio. Ce qui va avoir le don de mettre leur maison de disques en colère. Après cette trilogie qui ressemble à une plongée dans les Enfers, elle va donc les mettre au défi de composer un single qui puisse passer en radio, Smith va le relever avec brio et ça sera Let’s go to bed. Mais le groupe commence là à se diriger vers une voie plus pop, tout en gardant son originalité profonde. Il n’avait de toute façon pas beaucoup de choix : c’était disparaître ou renaître, se réinventer en composant une musique un peu plus légère et accessible. Mais aujourd’hui encore, Pornography reste l’album préféré de Smith, celui où il est allé le plus loin dans les tréfonds de son âme mais dont il a su revenir.

JOE-ROBERTS
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le 21 sept. 2024

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