Dissipons tout de suite un malentendu : Tim Burton n'est pas mon réalisateur favori. Il semble que l'idée soit assez répandue dans mon entourage et je ne sais pas ce qui a encouragé cette croyance, mais je ne voue pas un culte au monsieur aux cheveux en bataille. Il y a toute une partie de sa filmographie que je ne tiens pas à voir ou à revoir, parce que le sujet ne m'intéresse pas, que je crains le traumatisme ou parce que je l'ai déjà subi de plein fouet. Pour le reste, effectivement je peux apprécier ce qu'il fait, mais pas foncièrement davantage que d'autres réalisateurs. Edward aux mains d'argents occupe une place à part, c'est un de mes films cultes, c'est même mon film préféré, mais cela ne fait que quatre ans que je l'ai découvert, soit bien après que ma réputation d'admiratrice de Burton ait été établie. Et ce n'est pas parce que j'ai bien aimé Les Noces Funèbres que je dois devenir une inconditionnelle…
Je me suis retrouvée à lire l'ouvrage d'Antoine de Baecques tout à fait par hasard. Mon passage purement administratif à la bibliothèque s'est transformé en déambulation parmi les étagères parce que je ne peux pas m'en empêcher, j'ai commencé à feuilleté le bouquin et l'ai finalement emprunté pour regarder tranquillement les dix pages qui m'intéressaient. Dix pages qui se sont transformées en vingt puis trente jusqu'à me retrouver à tout lire d'une traite sans pouvoir m'arrêter. Il faut dire que le livre est extrêmement bien fichu, il n'est pas besoin d'être un fanatique de Tim Burton pour y trouver son compte, le texte, fluide, est suffisamment concis pour ne pas lasser le néophyte, tout en apportant un contenu non négligeable. On en apprend beaucoup sur l'incidence de la personnalité du cinéaste, de son parcours et de ses inspirations sur ses films et ce que ceux-ci veulent signifier. La démarche créative et la mise en œuvre de son esthétique sont aussi bien exposées, avec en bonus des dessins préparatoires qui sont de vrais bonbons !
Le cinéma de Tim Burton est émotionnel, j'entends dans sa transcription et sa réception, il place l'imaginaire au-delà même du réel. Lire et saisir comment l'émotion est transcrite, pourquoi nous la recevons avec une telle intensité est absolument passionnant. De manière plus personnelle, j'ai compris pourquoi j'étais si sensible à ses films et à son univers. La forte impression n'implique pas nécessairement l'adoration, elle peut être répulsion, ce n'est pas gênant, tout ce qui importe c'est que les obsessions sans cesse développées rejoignent ou fassent le lien avec des problématiques internes, plus ou moins conscientisées. Il est tout de même singulier que Tim Burton soit à l'origine du film que je couve de mon affection, qui ne cesse de me toucher profondément dans chacune de ses scènes, en un grand-huit mobilisant toute mon empathie ; et de celui que je ne peux revoir parce qu'il allie angoisse et dégoût. Je ne peux pas supporter ses images (au point de sauter le chapitre l'évoquant à l'aide d'un trombone emprisonnant les pages incriminées), elles me mettent terriblement mal à l'aise. Je crois avoir mis le doigt sur une explication plausible, je les aurais investies de toutes mes terreurs enfantines, leur apparition serait concrétisation de l'anxiété. C'est névrotique, il y a matière à creuser sur les causes de mes résistances, mon psychisme n'est pas très net, je sais. Je pourrais me confronter à ces signes de la peur et voir qu'il n'y a pas de danger, mais je l'ai déjà fait et j'en suis ressortie sans satisfaction, je ne tiens pas à retenter l'expérience de la répulsion.
Tim Burton n'est pas mon cinéaste fétiche. Il n'affronte pas non plus la concurrence, je suis trop versatile pour pouvoir me contenter d'un seul style. Mais je dois reconnaître qu'il m'a fortement marquée, que je le veuille ou non. Je dépasse le statut de simple curieuse et ma lecture n'est pas sans explication ni motivation. Ce qui ne m'empêche pas de conseiller vivement l'ouvrage à quiconque aura un tant soit peu d'intérêt pour le sujet, c'est franchement passionnant, et les évocations du fonctionnement du système hollywoodien, du travail de production, de la définition du jeu des acteurs nous mettent en présence d'un contenu dense et fourni qui élargit le sujet.