Antalya et son tourisme bon marché. Antalya et son Grand Bazar. Antalya et ses Centers, monstrueuses échoppes où tout se vend, du cuir aux tapis en passant par les pierres précieuses. Topaz est la plus grande bijouterie de la ville. Un lieu dangereux où le touriste, amené par son Tour Operator, est jeté en pâture dans une arène dont il ne connait pas les codes. Face à lui le vendeur aiguise ses armes. Il jauge, cherche la faille, adapte son boniment en fonction de la nationalité, des vêtements, des réactions et de l’attitude de sa future victime.
A Topaz, Kozan est le vendeur le plus redoutable. Et le plus admiré. Quand un groupe suisse débarque ce jour-là, il jette son dévolu sur Gérard, sa femme et leurs deux filles, une famille d’agriculteurs venus de Suisse. « Vous savez, nous n’achèterons rien. Ne perdez pas votre temps avec nous ». Kozan entend la remarque de Gérard mais elle glisse sur lui comme l’eau sur les plumes d’un canard. Car il sait que ce discours volera bientôt en éclats, car il sait qu’il a quatre heures devant lui pour conclure une vente. Ou plusieurs. Pour des milliers d’euros, voire des dizaines de milliers d’euros. Car il est sûr de sa force de persuasion, de son argumentaire infaillible, des atouts qui débordent de sa manche. Il fait donc servir aux Suisses leur premier verre de raki. Le premier d’une longue série devant permettre à chacun de se détendre.
Je me réjouissais à l’idée de découvrir la plume d’Hakan Günday, prix Médicis étranger l’an dernier et enfant terrible de littérature turque. Pour le coup, la déception a été à la hauteur de mes attentes. Que de cynisme dans ce portrait au vitriol des vendeurs d’Antalya. Des vendeurs drogués et obsédés sexuels qui ont l’argent pour seule religion, des menteurs invétérés, imaginant les scénarios les plus tordus pour parvenir à leurs fins, prêts à écraser les collègues pour prendre en charge les pigeons les plus prometteurs. J’ose espérer que le tableau dressé relève de la grossière caricature, même s’il y a forcément du vrai dans tout ça.
Ma déception vient également du fait qu’il ne se passe finalement pas grand-chose dans ce roman. On assiste à la visite du groupe suisse, on voit quelques vendeurs à l’œuvre en se focalisant sur Kozan. Et après ? Rien. Des personnages détestables, tous sans exception, qu’ils soient clients ou commerçants, et une pirouette finale où l’on nous fait le coup de l’arroseur arrosé, que je n’avais pas vu venir mais qui ne m’a pas convaincu.
Günday multiplie les aphorismes, les déclarations péremptoires. Il tire à vue sur le consumérisme, le tourisme de masse et le comportement de ses compatriotes. Mais je trouve le procédé un peu facile, sauf à considérer son texte comme une énorme farce. Et puis trop d’aphorismes tue l’aphorisme.
Un roman qui m’a crispé et agacé. Une première ratée donc. Mais il y a chez cet auteur un petit quelque chose d’irrévérencieux qui me pousse à lui offrir une seconde chance. Pourquoi pas avec son prix Médicis, dès qu’il sera sorti en poche.