Trop de bonheur par BibliOrnitho
Un recueil de dix nouvelles :
Dimensions : C’est l’histoire de vie de Doree, dont le mari, plus âgé qu’elle, est incarcéré. Chaque fois qu’elle souhaite le voir, elle doit acheter un billet (onéreux pour elle) et prendre le car. Petit à petit, le lecteur fait connaissance avec cette femme détruite qui remonte pas à pas de l’enfer dans lequel le destin l’a précipité.
Fictions : Joyce et Jon ont un QI bien supérieur à la moyenne. Leur couple était promis à un avenir somptueux lorsqu’ils décident de s’évader de leur milieu bourgeois pour vivre leur propre vie : elle devient professeur de musique et lui embrasse la profession de menuisier. Ils vivent heureux jusqu’au moment où Jon prend une apprentie…
Wenlock Edge : La narratrice, étudiante, partage sa chambre avec Nina, fille un peu paumée, mariée très jeune, mère, et entretenue par un homme âgé aux mœurs assez mystérieuses. Pour ne pas dire inquiétantes…
Trous profonds : Parti en pique-nique dans un site géologique aussi pittoresque que dangereux, une famille bascule dans le drame lorsque l’aîné chute dans d’un trou profond. Sauvé par son père, l’enfant reste marqué par son aventure qui donnera à sa vie un tour différent de ce que ses parents imaginaient pour lui.
Radicaux libres : Nita est veuve depuis peu. Elle-même est condamnée à court terme par un cancer en pleine possession de ses moyens. Elle est chez elle quand un intrus s’introduit chez elle sous un prétexte fallacieux. D’abord confiante, Nita prend conscience du danger que cet homme représente pour elle…
Visages : Le narrateur est né avec une large tache de naissance qui lui mange la moitié du visage. Cette infirmité le rend différent et le marginalise. Mais une fillette lui est très attachée : Nancy vit sur la propriété familiale avec sa mère. Les deux enfants sont inséparables jusqu’à l’incident qui les sépare alors irrémédiablement…
Des femmes : Un homme vit au milieu de femmes : sa mère âgée, la masseuse de cette dernière et une jeune fille (qui n’est autre que la narratrice) qui prend soin de lui lorsque sa femme est absente…
Jeu d’enfant : Marlène et Charlène, deux jeunes filles d’une dizaine d’années, font connaissance lors d’une colonie de vacances. Elles deviennent inséparables et se confient l’une à l’autre. Marlène, la narratrice, parle à son amie du profond dégoût qu’elle ressent pour Verna, une fille qui partageait avec sa mère la maison de ville qu’elle habitait. Le séjour insouciant bascule lorsque Verna arrive à son tour au camp de vacances…
Bois : Ray est ébéniste. Il aime son travail, ne manque pas de travail et gagne bien sa vie. Amoureux de la campagne et de la forêt, il sillonne les environs avec sa hache et sa tronçonneuse à couper du bois de chauffe qu’il revend à des clients…
Trop de bonheur : Au XIXe siècle en Europe, une femme russe fait carrière dans les mathématiques. Chercheuse et enseignante, elle a dû s’exiler en Suède pour avoir le droit d’exercer : Stockholm devenant la première université à confier à une femme la chair de mathématique…
A l’exception de la dernière nouvelle – éponyme – toutes se déroulent de nos jours aux environs de Toronto. Les personnages d’Alice Munro courent après le bonheur. Désespérément. Et en vain, car la vie se montre bien peu complaisante. Des personnages déchirés, malmenés par la vie, décrits avec une grande justesse, une profonde humanité par l’auteur qui m’a immédiatement fait penser (à tort ?) à Joyce Carol Oates. Par la proximité géographique de leur « scènes de crime » (Toronto et Niagara Falls ne sont séparés que par la largeur du Lac Ontario), par leurs personnages fouillés, par l’ambiance sombre de leurs histoires…
Mais là où l’une a besoin d’un demi-millier de feuillets pour se sentir à l’aise, l’autre parvient à bâtir un drame en trente pages seulement. Là où la première s’étale, la seconde coupe, incise, expurge la déco et ne garde que l’essentiel (je ne suis pas en train de dire que JCO n’est qu’une bavarde impénitente) : une romancière et une nouvelliste.
Une écriture concise, donc, incisive. Forte, dans laquelle l’humour n’est pas absente.
J’ai été séduit !