Au vu du résumé ci-dessus ou de la quatrième de couverture, je m’attendais à ce que cet épais roman que j’ai choisi franchement au hasard (n’étant pas adepte des romans d’espionnage, je n’avais jamais lu cet auteur qui sort ici de son style de prédilection) soit une simple histoire d’adultère sur fond de peinture sociale. Mon étonnement alla donc croissant tout au long de cet ouvrage à l’écriture savoureuse, légère, joueuse et maîtrisée, découvrant l’ambiance, d’un vermillon fabuleusement opaque et éclatant, du manoir improbable des premiers chapitres, celle des hôtels et des restaurants parisiens ou londoniens et enfin la Suisse enneigée pour clore un triptyque déluré ; si le deuxième tiers du livre se perd un peu dans des longueurs et du remplissage, la narration reste remarquable et surprenante. L’auteur mêle réflexions sur l’art, la religion et l’argent, la famille et la fidélité – aux autres mais surtout à soi-même, et la singularité d’êtres volatils, cruellement farceurs et fugaces. J’ai regretté les personnages secondaires ébauchés (surtout féminins : Helen est d’abord fascinante puis prodigieusement agaçante lors de son idylle finale, Sandra et Heather sont convenues et caricaturales), mais les deux anti-héros sont incroyablement riches, contradictoires, drôles et attachants. J’ai aimé Aldo Cassidy, croyant le détester au début, son enfermement apparent dans son rôle d’homme d’affaires et piètre mari, son amour polymorphe et changeant mais toujours pur et profond pour Shamus, le centre de gravité incontournable de ce livre, écrivain de bohème et auteur d’une mise en abyme remarquable entre histoire vécue et racontée. Shamus est tout à la fois créateur et créature, amant et repoussoir, enfant et sage, jamais dans le cadre, toujours sauvage et toujours juste. Au contraire de son reflet inversé Cassidy, j’ai cru l’aimer et fini par le détester, ce qui est je pense le but de l’auteur que l’on sent jubiler et s’amuser des surenchères, des revirements, des frasques et des retours à la lucidité de son insensé artiste dont on ne sait jamais vraiment si il est mort ou vivant. J’ai aussi apprécié les moments rêvés, fantasmés ou d’ivresse que l’on déguste avant le retour brutal au quotidien du vendeur de landaus, les refrains lancinants et préludes sans réponse, comme Flaherty, le vieil Hugo, le manteau funéraire et les bottes d’Anna Karénine.
En bref, un roman inattendu, peut-être difficile d’accès, mais qui fait un excellent matériau de réflexion nocturne et de recherche de pépites de vérité dans le diorama pittoresque d'un univers mondain et fermé qui n’existe plus.