Comme le dit la quatrième de couverture, "Un poignard dans ce jardin" suit la vie d'une riche famille arménienne de Constantinople, les Dourian, entre la fin du XIXe siècle et le génocide arménien qui eut lieu pendant la première guerre mondiale. Il y a la mère, inquiète de tout, le père, bourgeois occidentalisé et plutôt optimiste, le fils aîné, Azad, qui est journaliste et poète engagé, Tigran, qui marche dans les traces de son père, et la soeur, Anouche, la petite chérie. Autour gravitent d'autres personnages comme Othello, le dramaturge à la vie dissolue qui décide d'adopter un orphelin muet.

Le livre se découpe en quatre parties (1884, découpé en deux parties ; 1910 ; 1915-1916), où l'on voit la vie des Dourian évoluer (mariage, premier amour, déménagement, etc...). Les premiers chapitres donnent une image très vivante des rues de Constantinople ; on sent que Katcha avait aussi travaillé pour le cinéma : son style efficace va à l'essentiel pour suggérer l'activité humaine ou les émotions ressenties.

Comme dans "Guerre et paix", les problèmes personnels des individus sont mêlés aux décisions des grands de ce monde et aux évènements historiques, et plus le livre avance, plus il va être question de la condition des Arméniens, peuple catholique isolé au milieu du peuple turc, puis du génocide que mettent en place les autorités. Pour ceux qui n'en ont jamais entendu parler, ce génocide a été mené de la manière suivante : pour économiser les balles, on obligeait des villages entiers à partir à pied, soi-disant vers la Syrie, avec quelques bagages à main, puis on les entrainait dans des zones désertes. Les gens mourraient de la main de pillards kurdes, de faim, de maladie, d'épuisement ou de la cruauté de leurs gardiens.

Et là, je ne sais trop quoi penser, parce que la reconstitution de Katcha ne présente aucune ambiguïté : les soldats turcs et kurdes sont des êtres sans émotion, qui jettent sans remord des bébés dans les précipices parce qu'ils sont persuadés d'avoir affaire à des êtres inférieurs ; par moment, ils sont quasiment animalisés. De nombreuses scènes sont insoutenables : elles sonnent juste, bien sûr, mais bien que ce soit pour la bonne cause, on recherche tout de même l'effet littéraire. N'ayant pas lu de Primo Levi, je n'ai pas de point de comparaison, mais il y a toujours quelque chose qui me chiffonne dans la littérature de déportation. Cela tient peut-être à l'époque - on parlait encore peu de ce génocide en 1981, donc Katcha voulait frapper fort ?

Bref, ces remarques ne sont que des questions qu'amènent le livre, mais on a ici un roman très solidement charpenté, très vivant et très facile à lire qui a mon avis mérite amplement d'être lu, à la fois pour son intérêt historique et pour le tableau de la vie en Turquie dans les années 1880-1916 qu'il propose.

zardoz6704
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le 19 nov. 2011

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