Pour le dire sans malveillance, Un sombre pressentiment m’a paru… comment dit-on ?… très léger. Effectivement, on ne regarde jamais deux fois le même tableau. Effectivement aussi, la peinture de Bosch défie la raison et l’écriture – mais c’est loin d’être la seule pour laquelle « si […] on tentait d’enregistrer avec précision ce que ce panneau donne à voir, littéralement, […] on remplirait un livre de plusieurs centaines de pages » (p. 33). Effectivement encore, s’imaginer Bosch dans le cadre de la vie quotidienne de son époque a quelque chose de dépaysant – mais là encore, c’est sans doute valable pour tout artiste. Effectivement toujours, un spectateur peut avoir raté les détails d’un tableau au point qu’il doute de l’avoir vu quand il le revoit. Et donc ? Tout lecteur, s’il connaît un peu Jérôme Bosch, se sera fait à peu près les mêmes réflexions.
L’ouvrage intéressera sans doute moins les amateurs de Jérôme Bosch, aux rangs desquels je me permets de me compter, que les spécialistes de Cees Nooteboom, dont je n’avais pas lu la moindre ligne auparavant. Ceci dit toujours sans malveillance, j’imagine désormais ce dernier comme un sous-Borges, qui compenserait l’avantage de ne pas être aveugle par une réflexion qui tourne en rond. Notre touriste néerlandais raconte ses visites aux musées du Prado, de Rotterdam, à Lisbonne, à Bois-le-Duc, semble-t-il pour asseoir son statut d’écrivain voyageur plus que pour s’adresser aux lecteurs.
Le Jardin des délices et les tableaux de la même trempe constituent des énigmes qu’il est probablement impossible de décrypter de façon satisfaisante. On peut l’admettre – ou plutôt, il faut s’y résigner. On peut aussi ne pas partager le parti pris de l’auteur, qui considère qu’il ne faut pas toucher à cette énigme : si c’est indéchiffrable, autant ne même pas essayer de déchiffrer, et parler de soi à la place – c’est dans les grandes lignes la démarche de Cees Nooteboom. J’aime mieux considérer que ce n’est pas parce que c’est indéchiffrable qu’il faut renoncer à déchiffrer ; la démarche ne vaut parfois pas moins que le résultat.

Alcofribas
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le 10 janv. 2018

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