Critique de Shaynning

Ce petit recueil de poésie nous est venu par le dernier septembre qui passait par là, celui de 2021, et s'inscrit dans la petite collection "Poésie" de la maison Courte Échelle, destinée à la jeunesse.
Je dois préciser que la poésie n'est pas mon champ d'expertise habituel, peu s'en faut. Je suis ce qu'on appelle un "profane" en la matière. Alors je tâcherai de vous parler de ce petit recueil avec mon oeil peu exercé et ma délicate maladresse dans le domaine, en espérant vous donner envie de le lire.

La poésie est particulière en elle-même, parce qu'on a un niveau d'interprétation que l'on ne retrouve presque pas dans un roman, qui nous livre tous les détails et les éléments susceptibles de nous plonger dans un univers fictif. En poésie, en l'occurrence, c'est un second degré, il faut lire entre le lignes, percer des mystères, réfléchir. C'est une lecture qui se teintera peut-être davantage de nos propres couleurs pour cette raison, car elle nous implique dans le processus à un niveau plus profond et plus personnel. Si on peut dégager quelques grandes lignes de ce petit voyage littéraire, n'en demeure pas moins que notre interpellation sera variable selon notre façon de percevoir ce second degré. Tout ça pour dire que personnellement, voici ce que j'en ai comprit:

Un enfant navigue dans ce monde avec un mystère en lui. Vous serez dans un premier temps tenté de le considérer sombre à sa façon de dépeindre le monde et sa façon inhabituelle de se percevoir par rapport à ce dernier. Pour un peu, on croirai voir le négatif d'une photo, une incarnation du côté obscure. Il usera de bon nombre d'images pour vous le faire comprendre. C'est un être atypique, existentiel, différent, pour qui le monde s'étend au-delà du champ de ce qui est perceptible, pour s'étendre à celui de l'abstrait, des idées et des possibles. Ce monde dont il fait parti l'intrigue, mais il ignore où est sa place, ce qu'il y fait. En un mot, je dirais que c'est une âme sensible. Une sorte d'artiste. Un philosophe. Il observe ce monde avec curiosité, cherchant sa place. Il aimerait être capable d'authenticité, mais le concept semble encore complexe pour son jeune âge. S'il se sent insignifiant au début, peut-être est-ce là une façon de se rassurer: on n'attend rien de lui.
Mais un trait persiste: il a une impression de décalage, d'être incomplet. Peut-être que la vie nécessite avant tout se s'apprivoiser soi-même? Peut-être que le seul fait d'affronter la vie, dans ses menus détails néanmoins tous nouveaux, est en soit le défi? Peut-être la nouveauté est-elle inélégante, mais au fond est-ce grave? Puisque nous sommes de toute façon imparfaits et que c'est en soi merveilleux d'affronter ce qui est inconnu à chaque fois.

Cette quête de soi prend un tournant quand le narrateur découvre l'art qui permet tous les possibles et les invisibles: la poésie. Dès lors, être capable de mettre en mot l'intouchable, l'intangible et l'abstrait met un sens au cheminement du narrateur. Dès lors le Mystère trouve ses racines, bienveillante, omniprésente, passant de figure sombre sans nom à présence libératrice. Être poète permet d'être libre. La poésie est magie, elle est infinie et elle est personnelle. Un "personnel" qu'on peut d'ailleurs ensuite partager, comme le sont toutes les formes d'art.

"Il était une fois la naissance d'un poète" serait sans doute une façon de résumé ce petite recueil. Il me paraissait sombre au début, mais à mon sens, c'est l'impression de vide, de désincarnation et de mélancolie qui rendait le tout triste. Mais le tout se révèle par la suite lumineux, pleins d'espoir. L'enfant qui se jugeait atypique comprend qu'il a un "truc spécial", un "mystère".
J'aime bien cette idée que "se sentir spécial" peut sembler à priori angoissant, alors qu'il s'agit d'un "quelque chose de doux, de "gentil", qui nous habite et qui se cherche une porte de sortie hors de soi. Une sorte de trésor personnel qui se cherche une voie vers les autres ou vers le monde. Ce n'est pas donné à tout le monde d'avoir une conscience aigu du monde ni de chercher ce qui n'est pas perceptible. Il faut une certaine sensibilité, une certaine curiosité existentielle, pour aller au-delà de soi, au delà des idées elles-même. Un exercice difficile qui demande beaucoup d'introspection et de temps, dont le cheminement unique ne tient dans aucun manuel et parfois, aiguillé de quelques figures clés , comme nos proches ou de grandes sommités dans leur domaine. On retrouvera quelques vers de certains grands poètes dans le récit, d'ailleurs.

La vie n'est pas toujours confortable, à commencer par soi-même, mais si on parvient à trouver à son propre "Soi" un équilibre, une raison d'être et une manière de comprendre le monde qui l'entoure, "Vivre" prend alors tout son sens.

Pas un sujet simple, qui plus est, formulé avec mes mots d'adulte. Je vous prit de croire que les termes employés dans le recueil sont plus accessibles au lectorat concerné, mais leur portée reste grande. En même temps, que serait la poésie sans un minium d'efforts cognitifs? Et puis, une de ses forces, je pense, est que nous y trouverons tous des messages différents, selon notre âge, notre expérience et notre "Soi".

J'ai beaucoup aimé les images, surtout celles liés de près à la Nature, à notre rapport avec celle-ci. Il y a de bonnes figures de style et on a une impression de progression à travers les différents poèmes. Leur structure varie presque à chaque page.

J'ai trouvé ce parcours existentiel très intéressant et il m'a personnellement interpellé dans plusieurs de ses thèmes. Un petit récit dont le fond sombre met en valeur la brillance du sujet: Avoir le courage d'être Soi, de se laisser porter par cette petite force intérieur qui illumine discrètement chaque facette de notre vie, pour un peu qu'on ait le désir de la trouver et le courage de la laisser nous guider.

En espérant ne pas avoir trop dit de conneries, sinon veuillez excuser l'inculte poétique que je suis encore, je vous invite donc à vous glisser, le temps d'une lecture dans les souliers pas trop confortables de ce jeune personnage qui s'est trouvé "Une chose étrange et gentille ( et invisible)" à chérir et qui le chérit en retours.

Pour un lectorat de 11 ans et plus, donc soit la fin du troisième cycle primaire, soit le début du premier cycle secondaire.