Une petite bourgade aux pieds des Cévennes, dans une vallée si encaissée que même au cœur de l’été on n’y aperçoit jamais le soleil. Dans ce cadre crépusculaire, la baronne Jacqueline de Ferjol et sa fille, la jeune et innocente Lasthénie, mènent une existence ennuyeuse et paisible, en compagnie d’Agathe, leur fidèle servante. Qui pourrait croire en voyant la baronne, femme austère toute de noir vêtue, à la piété intransigeante et à la tendresse maternelle si peu démonstrative qu'elle avait été quinze ans plus tôt la ravissante Jacqueline d’Olonde, amoureuse ardente du baron de Ferjol, alors fringant capitaine au régiment de Provence en garnison dans le Cotentin et qui avait enlevé la belle, provoquant, en ces années qui ont précédé la Révolution, le scandale qu’on imagine. Hélas, peu de temps après l’époux bien-aimé disparait, laissant une veuve inconsolable murée dans le souvenir de son unique amour et pénétrée d’une religiosité teintée de jansénisme.
A l’époque, il était de coutume d’accueillir dans les paroisses du royaume des "hirondelles de Carême", religieux itinérants issus d’ordres lointains venus prêcher la bonne parole durant cette période si importante de l’année liturgique. C’est ainsi que les dames de Ferjol vont héberger en leur hôtel particulier le père Riculf, un capucin d’allure inquiétante dont les sermons sont plus axés sur les tourments de l’Enfer que sur la miséricorde divine. L’homme, par sa puissante et terrible éloquence fait grande impression sur les âmes simples des villageois, jusqu’à ce qu’il disparaisse inexplicablement à la veille de Pâques, sans même saluer ses hôtesses, plutôt soulagées d’ailleurs du départ précipité ce mystérieux prédicateur dont la présence avait fini par les effrayer quelque peu.
Dès lors, la vie des deux femmes reprend son cours monotone, rythmée par les prières, les travaux d’aiguille, les œuvres charitables et quelques rares promenades. La jeune Lasthénie cependant semble chaque jour plus triste, plus pâle, plus affaiblie, comme frappée d’une obscure maladie de langueur. La vieille Agathe, en gouvernante attentive, s’alarme très vite de la chose, attribuant le mal qui ronge la jeune fille à un sort occulte jeté par le moine. La baronne, quant à elle, met un certain temps à s’apercevoir de la transformation qui s’opère chez Lasthénie ; mais cette femme austère, qui oscille entre le culte de son amour perdu et le repentir de ses ardeurs passées, se révèle incapable d’apporter à sa fille l’affection qui pourrait la sauver. Au contraire, persuadée que celle-ci lui cache un monstrueux secret, elle n’aura de cesse de le découvrir, soumettant la jeune innocente à ses soupçons muets – le silence, l’incommunicabilité, l’enfermement de chacune de ces femmes dans ses propres obsessions étant au cœur de cette histoire sans nom.
Le récit reprend les thèmes chers à l’auteur des Diaboliques : la passion, la violence, la perversité, les tourments de l’âme, la mort. La relative longueur de l'histoire permet d’ajouter à ces ingrédients un certain suspense, le narrateur laissant entendre dès le départ qu’une terrible malédiction est sur le point de s’abattre sur les protagonistes. Si le lecteur devine assez rapidement une partie de ce qui tourmente la jeune femme, la clé de l’énigme ne sera véritablement donnée qu’à la fin du récit. Le roman développe en outre les thèmes du pardon et de la rédemption : qui, en définitive, mérite la grâce divine ? Le pêcheur qui se repent de ses forfaitures ou celui qui ne peut se résoudre à pardonner un crime, fût-il ignoble ?
A noter que la jeune héroïne de cette histoire effrayante a donné son nom à un trouble psychique qui ne l’est pas moins, le syndrome de Lasthénie de Ferjol. Je vous laisse bien entendu le soin de découvrir quel comportement de la jeune femme peut être rapproché de cette curieuse maladie mentale.