La terre d'ombre que décrit Ron Rash est un coin perdu au fond d'un vallon, Caroline du Nord, USA. Territoire rural et agricole où survivent Hank Shelton et sa sœur, Laurel. Parfois aidé par le vieux voisin Slidell, Hank, vétéran revenu manchot de la Première Guerre mondiale, arrive tant bien que mal à faire tourner la ferme familiale quasi en ruines et manquant cruellement d'équipements. Lauren a, quant à elle, la réputation d'être une sorcière et de porter la guigne pour la simple raison qu'elle porte sur le visage une tache de naissance. Alors quand cet équilibre fragile est bouleversé par l'arrivée d'un mystérieux vagabond muet, Walter Smith, la terre ombre où vit cette famille en sursis se peuple de craintes, d'illusions, d'espoirs et de mensonges.
Par bien des aspects, le récit a évoqué en moi le puissant souvenir du sublime "Sarn" de Mary Webb, chef-d'œuvre absolu du récit de terroir mais la comparaison s'arrête vite pour laisser place à une immersion réaliste et malaisante au cœur d'un environnement hostile où la vie ordinaire, pour aussi bancale qu'elle soit, tend irrémédiablement vers le drame, aux accents de thriller. Contrairement à "Sarn", pas de fulgurances lumineuses à attendre, "Une terre d'ombre" porte bien son titre.
Ron Rash est un auteur qui sait parfaitement croquer ses personnages principaux et secondaires et planter un décor de pleine nature où la beauté se dispute à l'âpreté. La rudesse des moeurs, associée à la douceur des attentes légitimes de chaque protagoniste qui cherche à tirer le meilleur parti d'une vie austère et stérile, forme un contexte idéal au drame social qui se joue.
Une lecture qui laisse un goût amer mais qui marque durablement l'imagination.