Encore une review archéologique, avec cette édition 1985 de la revue-anthologie Univers (sous la direction de Joelle Wintrebert) – et une review pour une fois aussi strictement positive (mais détaillée), j'ai décidé de ne pas perdre du temps à m'acharner sur les textes ou articles qui ne m'ont pas comblé, surtout qu'ils n'y sont pas très nombreux : une fois de plus, très bonne cuvée !

https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2101693882


Greg BEAR, Le Chants des leucocytes (Blood Music, 1983)

Avant « La Musique Du Sang », roman intense et génial à la croisée du cyberpunk, de la hard-SF apocalyptique et de la « body horror » à la Cronenberg, Greg Bear livre ici une première ébauche de la (presque) même intrigue sous forme de nouvelle. C'est passionnant (et fonctionne très bien seul) mais impossible, si on a d'abord lu la version longue, de ne pas comparer, et d'y voir autre chose qu'un brouillon – mais un brouillon brillant et multi-récompensé (Hugo + Nebula). A lire en premier ! 4/5

(par contre, RHAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA, « billion » se traduit par « milliard », BON SANG !:) )


Hilbert SCHENCK, La Géométrie narrative (The Geometry of Narrative, 1983)

Une amusante parodie du post-modernisme/déconstructivisme en littérature, qui fait fortement penser à Italo Calvino même s'il n'est jamais nommé (récit à l'intérieur du récit, application narrative d'une théorie mathématique). Ou peut-être est-ce un hommage ? Lecture terminée, on se demande si l'auteur ne s'est pas moqué de nous comme son personnage se moque de son prof de littérature... Je mets un 4/5 personnel, mais pas sûr que vous appréciiez si vous n'avez pas de goût particulier pour le post-modernisme et ses jeux littéraires.


 Vincent RONOVSKY, Matin de sang

Un texte étonnant de surréalisme (sanglant) mélangeant humour absurde (à la Lafferty) et visions d'apocalypse, par un très jeune auteur qui n'a malheureusement pas persisté dans la voie de l'écriture. Dommage, on tenait peut-être là un futur grand : 4/5


 Connie WILLIS, Lune bleue (Blued Moon, 1984),

Connie Willis est une auteure que je connais assez mal, et dont les quelques nouvelles que j'ai pu lire ici et là ne me frappaient pas par leur frivolité ou leur sens de l'humour... Mais il faut s'attendre à tout, elle livre ici un (petit) bijou de vaudeville/marivaudage à l'argument SF absurde (une expérience spatiale transformant la lune en gigantesque « machine à coïncidences improbables » déchaînant une tempête de chance et de malchance sur les responsables de l'expérience) à la fin duquel les méchants sont punis, les gentils récompensés, et tout se finit par un mariage. On pense aussi aux comédies de Shakespeare (particulièrement « beaucoup de bruit pour rien ») ou à l'implacable machine à mésaventures qu'est le Wilt de Tom Sharpe, autant dire qu'on s'amuse, mais Willis ajoute à la comédie une saine dose de critique sociale qui rappelle qu'elle a écrit ce texte au milieu des années Reagan. Léger mais pas creux : 4/5


 Ian WATSON, L'Élargissement du monde (The Width of the World, 1983)

Sur une idée « absurde » qui rappelle furieusement certaines vieilles nouvelles de R.A. Lafferty – la géographie se « déformant » par un phénomène inconnu, rendant les trajets d'un point à un autre de plus en plus long, comme si le monde s'étirait tel un élastique, Ian Watson (auteur que je n'associais jusqu'ici pas tellement à ce type de « prémisses aberrantes », mais je réalise que je le connais mal!) livre un texte qui n'a rien de la fantaisie ou de l'humour Laffertyen, et explore de façon réaliste les effets dramatiques de cet « élargissement » sur la vie quotidienne du narrateur et du reste de l'humanité, notamment l'apparition d'espaces interstitiels où un dixième de la population va se perdre pour ne jamais réapparaître. Un texte inclassable et imprévisible, à la limite du fantastique : 5/5


 Brian STABLEFORD, La Science-Fiction anglaise, de 1964 à 1984 (SF in Britain, 1964-1984)

Un « état des lieux » de la SF britannique en mouvement, entre new-wave et réaction inverse ; forcément très daté mais pas moins intéressant.


Michael SWANWICK, Ginungagap (Ginungagap, 1980),

Entre hard-science, récit de premier contact et proto-space-opera, une histoire de trous noirs et d'araignées de l'espace – dit comme ça on pourrait penser à du Van Vogt old-school, mais on est finalement plus proche de Bruce Sterling période Schismatrice, dans l'écriture et la construction (toutes proportions gardées). Les aspects scientifiques/conceptuels ne m'ont pas passionné mais l'intrigue, portée par un style nerveux et de vrais personnages se suffit à elle même. A noter que le héros est une héroïne, ce qui pour l'époque et un auteur mâle n'était pas si fréquent que ça.

4/5 (et m'a donné envie de creuser un peu plus ce qu'a fait Swanwick!)


James Jr. TIPTREE, Larmes d'étoiles (We Who Stole the Dream, 1978)

Un peuple extraterrestre pacifiste, réduit en esclavage (entre autre sexuel) par des colons humains, s'empare d'un vaisseau pour fuir vers un hypothétique berceau de leur race. Un texte choral dur, à la conclusion amère, qu'on peut voir comme une simple (mais violente) charge contre le colonialisme, mais se lit aussi comme un suspense haletant, et peut-être bien une allégorie de certaines situations bien réelles du XXème siècle... Le texte datant de 1978, difficile de ne pas y voir au minimum une allusion au rapatriement en Israël des falashas éthiopien, par exemple. On peut aussi y voir une allégorie féministe, ou de toutes les luttes d'émancipations, mais sans aucune naïveté militante... Tiptree au top, comme d'habitude.

4/5


R. A. LAFFERTY, La Planète Ours voleur (Thieving Bear Planet, 1982)

Des explorateurs – et exploratrices - sont chargés de comprendre ce qui ne va pas avec une planète peuplée par d'étranges créatures kleptomanes. Du pur Lafferty, ciselé, hilarant, surréaliste mais totalement structuré – et plus compréhensible (mais tout est relatif...), ou en tout cas moins cryptique qu'il ne l'est souvent. Mais de toute façon, R.A.Lafferty est un cas à part : génial quand il est « clair », génial quand il est « obscur » !

5/5


 Pascal J. THOMAS, Quand on aime la vie, on lit de la SF !

Un article de « critique littéraire » drôle mais toujours pertinent en 2024 sur – entre autres – certains tics d'écritures dans la SF américaine, dont l'importance culturelle du jus d'orange au petit déjeuner. Certains exemples sont datés, et les sujets de moquerie nous paraissent bien lointains (Alan Dean Foster, le troisième volume du monde des non-A d'A.E. Van Vogt) mais les réflexions restent d'actualité sur le fond.


 Emmanuel JOUANNE & Jean-Pierre VERNAY, Les Jours d'été

Un artiste (aux techniques meurtrières, on pense plusieurs fois à « The house that Jack built » de Lars Von Trier) voyage dansle temps en laissant derrière lui ses œuvres macabres ; tombe amoureux d'une inconnue nommée Eté ; elle le suit à travers son périple temporel, jusqu'à la création de son chef d'oeuvre ultime. Malgré quelques maniérismes agaçants typiques des auteurs français des 70-80, une assez belle réflexion morbide sur l'art, le temps, l'amour, la mort et l'éternel retour. 3,5/5






Palmer-Eldritch
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le 29 janv. 2024

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