Contextualisation : c'est un végétarien virant végétalien qui écrit cette critique, qui a passé 6 mois de sa vie en alpage, dans divers troupeaux de moutons de Suisse romande


Si Vegano-sceptique peut se lire comme une réponse à Antispéciste d'Aymeric Caron, publié un an plus tôt, il est surtout le réquisitoire d'un éleveur à la tête d'un troupeau à taille humaine. Loin d'une ferme des mille vaches, entre les bocages abritant encore la huppe fasciée et les champs résonnant des cris du traquet des prés, l'auteur/éleveur appartient à un pastoralisme du territoire et se porte garant d'un artisanat séculaire.


Et c'est là que l'auteur vise juste : les militants végans nous assaillent d'images chocs d'Outre-Atlantique – celles de Home, de Cowspiracy ou encore de What the health – où l'on voit ces élevages étendus sur des kilomètres et des kilomètres. Une terre battue à perte de vue, où évoluent, agglutinés, des milliers de bovins hagards. D'immenses fermes usines, où l'industrie phagocyte totalement le rural. Or il n'y a pas que ça, la petite paysannerie subsiste encore, dans nos contrées.


Nos alpages sont toujours broutés, gardés par des bergers vivant chichement. Des exploitations de montagne, diversifiées, multiples, n'ont pas encore tout cédé au grand capital. Le pastoralisme subsiste. La viande, le lait, les œufs locaux sont là, si on les cherche.


Mais...
Le talon d'Achille de l'élevage extensif vient de la législation : on n'abat des animaux que dans les abattoirs contrôlés. Point. C'est la loi.
D'où les interminables transports d'animaux. D'où l'arrachage des animaux à leur environnement pour vivre leurs dernières heures dans le stress, le bruit, la mort. D'où les images effroyables de L214. D'où les conditions de travail inhumaines des employés d'abattoirs, sous le joug dictatorial d'une loi appelée "cadence".


Tout ce que le livre soutient s'effondre à cause de cela. Toute la passion de l'auteur qui, on n'en doute pas, anime un pan important de la profession, s'écroule face à cet impératif logistique et législatif, menant inéluctablement à des conditions anormales. Amorales.


Vegano-sceptique n'en reste pas moins un livre passionnant écrit par un passionné. Il est intéressant par ce qu'il soulève, notamment du point de vue moral. Dans la suite de cette critique, je vais m'atteler à quelques points du livre qui m'ont fait tiquer :


Il questionne : comment le véganisme pourrait-il devenir une prescription morale s'il ne peut prétendre à l'universalité ?, en prétendant que l'universalité lui est impossible à cause des traditions de certains peuples (Samis par exemple) vivant dans des endroits où seul l'élevage leur permet de survivre.


Premièrement, si je ne doute pas que certains extrémistes voudraient une imposition du véganisme (sous-entendu par le vocabulaire utilisé : "prescription"), il est totalement hors de propos de partir du fait qu'il s'agit de la volonté de la majorité des végans. Pour la plupart, passer végétalien ne découle ni d'un ordre ni d'une volonté ascétique, mais d'un simple choix mû par diverses motivations.


Ensuite, prendre l'exemple des Samis pour justifier l'impossible universalité du véganisme (et en l’occurrence même du végétarisme) est maladroit : non seulement la majorité des Samis, actuellement, ne vit plus de l'élevage des rennes, mais plus encore une telle argumentation rend impossible tout type de progrès moral. Si, à la fin de l'époque des traites négrières, on avait dit "non, la fin du racisme est impossible puisqu'un groupe d'hommes, les esclavagistes, crèveraient alors la faim" nous n'aurions pas avancé d'un pouce dans les luttes antiracistes.


De la même manière, l'auteur propose : dans une société végane, la survie des populations montagnardes ne serait assurée que par la mondialisation mercantile. Autrement dit, pour vivre sans élevage, les montagnards de nos régions à qui une hypothétique loi imposerait le véganisme alimenteraient le fléau du libéralisme sans frontières. Sauf que, arrêtez-moi si je me trompe, mais les régions de montagne sont actuellement bien loin d'être autonomes (qu'il y ait élevage ou pas).


Dans cette société végane fantasmée (ou peut-être cauchemardée, en l'occurrence), rien n'empêcherait les montagnards de cultiver leurs patates, leurs oignons, leurs courges et de semer leur seigle. Si l'hiver les rendrait sans doute plus dépendant à la plaine et à l'extérieur, cette dépendance ne serait pas supérieure à celle qui les lie actuellement déjà au monde périphérique. Car si quelques paysans profitent des réserves de viandes et de fromages pour tenir la mauvaise saison, ce n'est d'une part pas pour la majorité de l'assiette quotidienne (les légumes, les céréales et j'en passe) et surtout pas pour la plus grande partie de la population.


De plus, la culture de soja, de lentilles, de blé en plaine, leur transport en montagne, peut tout à fait se faire de manière locale. Véganisme, contrairement à ce que suggèrent les couvertures de quelques livres de recettes à la mode, ne signifie pas forcément avocat à toutes les sauces, myriades de fruits exotiques et patate douce à chaque repas.


De la même manière, dans la situation actuelle d'une société non végane, ne me faites pas l'affront de dire que les éleveurs ne font pas aussi le jeu de la mondialisation. Leur soja, leur maïs qui vient nourrir leurs bêtes, les antibiotiques dont ils ont besoin, rien de tout cela n'est issu de leurs terres, de leurs territoires.


Alors non, le véganisme ne s'érige pas sur le capitalisme et la marchandisation libéralisée. Il existe du soja européen, du tofu européen, du quinoa européen, des lentilles européennes, bref, nous avons tout à fait la capacité de nous nourrir végan et local. Plus encore, l'entrée dans le monde du végétarisme m'a permis d'accroître ma sensibilité à l'achat local et à l'abandon des grandes surfaces.


Autre point que soulève l'auteur : le véganisme signifie l'abandon de toute domestication, et donc aussi celle des chiens, des chats, des chevaux.... Et pour le coup je suis en profond désaccord. En quoi la domestication est-elle synonyme de souffrance, hors cas de maltraitance ? En quoi la domestication implique-t-elle, comme le ferait l'élevage, le passage par la case abattage ?


Le seul point lucide que reporte l'auteur concerne les croquettes pour chiens et chats, créées à partir de restes de carcasses débitées pour l'alimentation humaine. Dans une société végane, elles n'existeraient pas et seraient remplacées par des croquettes végétales ce qui, fustige l'auteur, est complètement contre-nature.


Mais quel loup (puisqu'un chien, en soi, est également contre-nature) choisirait des croquettes à la viande plutôt qu'une bonne carcasse fraîche, bien saignante ? Aucun ! La domestication est par essence contre-nature, car elle implique l'immiscion de l'homme dans les longs processus de sélection. Un chien, un chat, un pur-sang arabe, rien de tout cela n'est naturel, pas plus qu'il est naturel de nourrir notre canidé bien docile de Proplan ou de Frolic. Alors que ces granulés soient composés de viande ou de végétaux, qu'importe, tant que les besoins physiologiques de l'animal en protéines, sels minéraux, sucres et j'en passe soient remplis ?


Bref, voilà quelques réflexions au sujet de cet ouvrage bien intéressant qui a le grand avantage de faire réfléchir, autant le convaincu que l'obtus. Il permet aussi de rappeler l'importance de l'élevage de proximité, à taille humaine, et la passion des gens qui s'engagent corps et âme dans cette ruralité bien souvent abandonnée. Finalement, il jette une définition intéressante de l'antispécisme qui a le mérite d'être claire et bien explicitée (je vous laisse parler avec des soi-disant "antispécistes" en leur demandant la définition de ce mot, et vous verrez l'embarras qui en gênera une bonne partie...).


Vegano-sceptique, un livre à lire sans modération mais avec un esprit critique !

Mr_Wilkes
7
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le 2 mars 2019

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Mr_Wilkes

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