Le troisième roman de Grégoire Hervier (après Scream Test et Zen City) raconte l'enquête d'un jeune journaliste musical, Thomas Dupré. Envoyé en Ecosse par un négociant en instruments rares pour une transaction spéciale, Thomas rencontre un aristocrate britannique qui lui révèle l'existence d'une guitare électrique mythique, fabriquée en une poignée d'exemplaires par la société Gibson en 1957. Séduit par son érudition musicale et son modeste talent de guitariste, lord Winsley, qui a jadis travaillé avec quelques-uns des plus grands rockeurs des années 1960 et 70, engage à son tour Thomas pour partir sur les traces d'une guitare.. qui n'a peut-être jamais existé.
Bien vite, Thomas, incrédule, croise les traces (ténues, brumeuses mais vibrantes) d'un musicien inconnu qui aurait jadis joué de l'instrument en question. Légende ou réalité cachée ? Après tout, sur un enregistrement, le corps humain n'a plus besoin d'être présent, pas vrai ? Du moment qu'il en reste la musique.. Mais y avait-il réellement un être vivant, lors de cet enregistrement, cinquante ans plus tôt ?
Avec un style d'écriture trompeusement simple (donc voué à devenir classique) Grégoire Hervier nous raconte une sorte d'enquête idéale, celle d'un curieux, jeune et innocent, à la poursuite de l'objet magique qui lui révèlera un pan de réalité qu'il ignorait et ne voulait pas vraiment regarder en face.
Roman initiatique, l'originalité et la grande force de Vintage reposent essentiellement sur deux critères. D'abord, l'auteur mêle inextricablement fiction et réalité : l'histoire de la guitare électrique y est décrite avec un luxe de précision, qui trahit l'amoureux plus encore que l'amateur (certains passages de haute volée technique font penser au Philip Roth du Complot contre l'Amérique). Bien sûr, qui dit guitare électrique dit rock'n'roll. On trouvera sur YouTube une playlist concoctée par l'auteur, qui est un véritable parcours de l'évolution historique du son de cet instrument à travers le XXe siècle.
L'autre force du roman tient dans la description - pour ne pas dire l'invocation - des morceaux peu à peu retrouvés du musicien fantôme. Avec un tel récit, l'écueil principal était de traduire en mots cette sensation unique qu'est la découverte d'une musique destinée à se graver dans notre mémoire. Non seulement le pari est ici pleinement réussi, mais je sais sans le moindre doute que si j'entends un jour la chanson Song to rest in Hell, je la reconnaîtrais. Et je me creuserai ensuite la mémoire ou les rêves pour tenter de mettre le doigt sur le nom de ce musicien visionnaire, qui me reviendra au beau milieu d'un cauchemar :
Li Grand Zombi Robertson
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N'hésitons pas à le dire : Vintage est un digne héritier d'Armageddon Rag, le polar musical fantastique de George R.R. Martin ; c'est un livre spécial, en ce sens qu'il nous pousse à réviser entièrement notre histoire du rock, tout comme La conspiration des ténèbres de Theodor Roszack nous pousse à réviser l'histoire du cinéma.
Entre nous, si j'étais producteur de films, je me jetterais tous plectres dehors sur ses droits d'adaptation et j'en ferais un film. Et si j'étais ingénieur du son, je m'arrangerais pour faire partie du projet. Parce qu'il contient de quoi se faire le plus immense et le plus incroyable des plaisirs : donner chair à la musique d'un fantôme, tout comme Rob Reiner et les acteurs-musiciens de This is Spinal Tap avaient réussi à le faire en jetant leur groupe mythique dans les affres de l'IRL.
Car désormais, à l'instar de Robert Frobisher (le compositeur du sextet Cloud Atlas)
Li Grand Zombi Robertson
existe quelque part dans les limbes, entre réel et fiction. La preuve : on devine, dans l'ombre des vieux disquaires, des fanatiques qui le recherchent.
PS: à la page 243, un personnage mentionne une anagramme. Un conseil : si vous aimez jouer, ne tournez pas la page et tentez aussitôt de résoudre l'énigme. Frissons garantis.