Parfois la réalité dépasse la fiction. Pour ma part, c’est ce que je recherche quand je lis cette littérature de montagne, à laquelle appartient le livre d’Elisabeth Revol : des histoires à faire pâlir les meilleurs scénaristes … et pourtant vécues, et donc souvent racontées avec beaucoup moins de distance et beaucoup plus d’émotions qu’une « simple histoire ». Dans ces récits, la haute montagne joue aussi comme un amplificateur de toutes les émotions : conditions extrêmes, isolement total, effort physique terrible et dépassement de soi, et voilà un cocktail inépuisable de récits.
L’histoire d’Elisabeth Revol s’inscrit parfaitement dans cette littérature de genre. Comme beaucoup de personnes, j’avais été mise au courant en direct de son sauvetage sur le Nanga en 2018, décrit avec un luxe de détail. Et comme souvent, ce qui est intéressant dans le livre c’est qu’elle nous explique le contexte : comment, pourquoi est-ce arrivé ? D’ailleurs, elle ne s’attarde pas sur le sauvetage en lui-même (les médias l’ont bien assez fait).
En matière d’histoires hors normes, il faut aussi souligner que celle d’Elisabeth et Thomasz n’est pas en reste, et Elisabeth fait aussi un bel hommage à Thomasz au travers de ce livre qu’ils voulaient écrire ensemble.
En revanche, et comme souvent aussi dans les récits de montagne, si les alpinistes ont des récits fascinants à raconter ils n’ont pas toujours la plume pour le faire. Le livre d’Elisabeth est écrit avec des mots simples et se lit d’une seule traite, très vite … j’ai un peu regretté ce style très simple, direct, presque oral (qui pourra plaire à d’autres !).
Le livre est aussi assez court, et pourtant j’ai trouvé qu’il y avait des longueurs : il y a beaucoup de passages introspectifs, ou Elisabeth se pose les mêmes questions, avec les mêmes mots et les mêmes réponses (pourquoi fais-je ça et pourquoi suis-je ici ?). Ces passages servent le livre : son attente a été interminable, perdue seule sur les flancs du Nanga, à osciller entre rêve et réalité. C’était donc important que le lecteur le ressente ainsi, néanmoins le style « oral » du livre et assez direct ne correspond pas bien, de mon point de vue, à ces moments oniriques. En revanche, il correspond bien aux passages de description « technique » de l’ascension et de la descente, qui se lisent tous seuls.
Enfin, j’ai retrouvé un point que je n’aime pas dans les récits de montagne : le livre semble être écrit par l’auteur … pour l’auteur. Ce livre était sans doute essentiel pour Elisabeth pour pouvoir sortir de l’abîme où elle se trouvait, mais il me semble qu’elle y adopte une posture très défensive : elle veut donner sa version des faits, réparer l’injustice du traitement médiatique et éclairer le contexte. Peut-être que reporter un peu l’écriture de ce livre aurait permis d’en faire un objet un peu plus littéraire, avec moins de colère et un peu plus de poésie … À mon sens, cette écriture cathartique n’a d’intérêt que sur le très court terme : elle est sans doute libératrice pour l’auteur, et elle explique aux lecteurs qui ont suivi ce « fait divers » ce qui s’est passé sur la montagne. Par contre, ça n’en fait pas un objet littéraire d’une grande valeur.
Si vous n’avez jamais lu de récit de montagne, et que vous avez un peu de mal avec la « grande littérature », je vous conseillerais donc de foncer car ce livre se dévore. Si vous êtes un fan de Jean-Christophe Lafaille, Charlie Buffet et Lionel Terray, vous n’y trouverez peut-être pas votre compte.