"Une fois il y avait eu dans la bulle deux îles qui étaient très amies, puis l'une des deux a voulu aller voir le continent. L'autre n'a pas pu, pas voulu bouger et est restée à regarder les miettes de leur amitié s'étirer en un long archipel à ses pieds, dans la direction où est partie son amie. Les vagues ont léché les récifs qui ont peu à peu disparu, et l'île s'est retrouvée toute seule sans même sentir les chatouilles du ressac. C'était vraiment triste, mais un peu plus tard Îs a attrapé une autre bulle de la même planète, dans laquelle l'île avait simplement regardé vers une autre direction et aperçu un petit cratère tout tassé, et la mer lui avait apporté des vagues chaudes de là-bas. Ça m'avait réconfortée."
Lire Voir les Astres s'éteindre, c'est errer avec volupté parmi les dits-astres comme s'il s'agissait d'un jardin exotique, plein de surprises et de mystères. Les étoiles y perlent comme des gouttes d'eau sur les feuilles, le silence n'y est perturbé que par une infinité de petits bruits de vie, mais l'on s'y sent bien, on a envie de continuer à avancer. La poésie et la mélancolie sont au rendez-vous, dans cet univers à la fois clos et infini. Caroline Leverrier parvient à rapetisser l'immensité sans la trivialiser, et à élever l'infime sans le dénaturer. On ne marche pas avec ses personnages de Tinat et Tjangala, et leurs protecteurs respectifs Îs et Saimara, on danse avec eux, tant c'est l'impression que donne la plume de l'autrice.
Ce rondeau stellaire n'est pas toujours des plus aisés à suivre, tant s'y enchevêtrent les ruptures de narration, mais pour qui veut bien se prêter au jeu de cet élégant ballet de tendresse et de liberté, le plaisir de se perdre dans un inconnu si rassurant est au rendez-vous. Et si comme moi vous pensez au monologue de Roy Batty en lisant l'extrait suivant, alors vous pouvez être certain que pas plus que les larmes dans la pluie, ces Astres ne s'éteindront de sitôt dans votre mémoire :
"J'ai vu une étoile caresser son amante à trois galaxies de là, une planète s'ébrouer furieusement de sa croûte minérale, des volcans jaillir pour taquiner le ciel, la poussière endormir un astre ivre de mélancolie. [...] J'ai vécu tant de choses, et maintenant je suis perdue. la colère, la joie, la haine, se reproduiront. Mais chaque battement d'aile, chaque crissement de roche, chaque froissement de feuille est unique. La seule constante, à ce qu'il semble, c'est ma façon de débarquer au milieu de tout cela sans jamais y comprendre quoi que ce soit."