Une épopée américaine
Il est des romans gigantesques. Non pas tant par leur nombre de pages, mais pas l'immensité des thèmes abordés. A l'Est d'Eden n'est pas exceptionnellement long. Il ne fait que la moitié des...
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La période de la Grande Dépression marqua profondément la littérature américaine. De cette crise sans précédent, l'image de l' American dream sera profondément altérée, exhumant les pathologies américaines avec ses inégalités, sa misère, sa violence et ses contradictions. De grands auteurs, John Steinbeck et William Faulkner en tête, excelleront dans ce travail de déconstruction du mythe en ancrant leurs récits dans la réalité sociale de leur pays.
John Steinbeck, né dans la grande vallée de Salinas en Californie, vallée à laquelle il était profondément attaché, intègre de nombreux éléments dans son livre qui sont (ou pourraient) être autobiographiques. La vallée de Salinas est ainsi le lieu principal de À l'est d'Eden. L'un des personnages principaux, Samuel Hamilton, était le grand-père maternel de l'écrivain. Un grand-père que l'écrivain ne connut pas vraiment, décédé alors qu'il n'avait que deux ans, mais qu'il imagina et romança pour en faire un idéal, une figure héroïque. En ancrant son récit dans son enfance, ses souvenirs et son sang, Steinbeck nous raconte son histoire de l'Amérique.
Un passage du roman illustre parfaitement la vision de l'écrivain sur son œuvre :
Une histoire, si elle veut être grande et se perpétuer, doit toucher chacun de nous. L'étrange, l'étranger ne nous touchent pas. Nous voulons des faits profondément personnels et familiers.
Ce qui est marquant dans À l'est d'Eden, c'est qu'il n'y a pas vraiment de début ni de fin. Le lecteur intègre un univers, celui de la vallée de Salinas et de deux familles qui s'y établissent, les Hamilton émigrés Irlandais, et les Trask, originaires de la côte est. L'auteur semble avoir sélectionné un fragment d'un gigantesque livre et s'est attelé à nous le faire découvrir. Un fragment qui représente tout de même un livre de près de 750 pages.
La dimension humaine et sociale de la bibliographie de Steinbeck est également très forte dans ce roman. L'amour et la haine, dans ce complexe rapport entre le bien et le mal, y sont décortiqués et mis à nus, sans être édulcorés. L'auteur montre ainsi, comment une paisible petite ville de Californie est rattrapée par ce monde qui s'accélère et par cette première guerre mondiale qui transforme les habitants de Salinas en monstres terrifiés qui finiront par lyncher celui qui avait un accent germanique un peu trop prononcé.
Et puis, au milieu de cette formidable galerie de personnages, il y a Samuel Hamilton, ce grand Homme. Sorte de Géo Trouvetou paysan, patriarche respecté d'une famille de neuf enfants, travailleur besogneux, pauvre, Samuel Hamilton homme catalyse la bonté, la réflexion et le respect chez ceux qui ont le privilège de le croiser. Mais Samuel Hamilton brillerait-il d'autant d'humanité s'il n'y avait Cathy Ames ? Cathy Ames, cette bête immonde dans un corps de poupée, dont l'instinct maternel inexistant et l'incapacité d'aimer la rend terriblement dangereuse.
Cette dualité entre ces deux personnages représentant l'amour et la haine donne, lors de leurs brèves rencontres, une tension presque surnaturelle.
Le livre est divisé en quatre parties. La dernière est celle qui sera adaptée au cinéma par Elia Kazan. Steinbeck, en 1954, année de sortie du roman, collabora d'ailleurs avec le cinéaste en écrivant le scénario du film Viva Zapata !
À l'est d'Eden, œuvre quelque peu éclipsée par les Raisins de la colère et son prix Pulitzer, est le roman le plus intimiste de ce géant de la littérature américaine qu'est John Steinbeck. Chef-d'œuvre.
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Créée
le 12 août 2020
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