Une épopée américaine
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Il est des romans qui nous donnent une histoire. Ils ont pour cela un début, une fin et la figure géométrique qui les résume le mieux serait la ligne. D’autres romans, dont à l’Est d’Éden est un modèle, sont des mondes, ils ne semblent avoir ni début ni fin ; ils s’apparentent à un cercle tant la vie des individus est reprise par des dimensions qui les dépassent. Alors que la ligne, analogue de l’existence, s’achève ne revenant jamais à elle-même ; le cercle, analogue de la vie, se répète, la fin coïncidant avec le nouveau commencement. Steinbeck l’exprime lui-même en reprenant Marc-Aurèle : car tout ce qui existe est la semence de ce qui sera.
En plaçant son roman sous l’augure du récit de la genèse d’Abel et Caïn, descendant d’Adam et Éve, Steinbeck déplace la question du problème originel. Il ne s’agit pas de la relation entre bien et mal dans l’ordre de la volonté de l’homme, mais de la lutte pour la reconnaissance. La question héréditaire, si prédominante dans son roman, est en cela considérablement complexifiée. Les descendants n’héritent pas des caractères – ou des instincts – individuels de leurs ascendants, mais de la dualité fondamentale de l’espèce, du bien et du mal, de la lutte pour la primauté et la reconnaissance, de la comparaison et de l’envie. À l’Est d’Éden n’a rien d’un manichéisme, car c’est la synthèse complexe des tendances opposées dans l’ordre de l’histoire qui est en jeu. La dualité qui structure le roman, entre la famille Tarsk et Hamilton d’abord, entre les frères Adam et Charles, entre Adam et Cath ensuite, entre Cal et Aaron enfin, se comprend uniquement dans l’ordre de l’espèce comme la manifestation de l’éternel jeu complexe qui rythme l’histoire de l’homme.
Au contraire d’autres œuvres s’intéressant à l’hérédité qui cherchent à déposséder l’individu des principes de son action en comprenant les causes antérieures qui le déterminent ; il n’y a pas chez Steinbeck de problème psychologique de l’auto-détermination de la volonté. Au regard de sa lecture de la genèse et des discours du sage épris de théologie qui insistent sur l’autonomie de la liberté et le Tumshel hébreux (verbe actif signifiant « tu peux »), Steinbeck ne s’intéresse qu’à la répétition des déséquilibres et des inimitiés. La question est inter-subjective autant qu’héréditaire. Il n’y a de bien ou de mal que dans l’ordre de la relation entre deux ou plusieurs éléments – le roman en raconte la genèse toujours complexe qui se répète indéfiniment dans la vie des hommes, des familles, des régions et des nations.
Créée
le 9 avr. 2020
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