Vingt-trois années et deux auteurs furent nécessaires pour achever cette épopée que représente la Roue du Temps. Du haut de mes trois ans de lecture, entrecoupée de nombreuses pauses (notamment du passage du français à l’anglais), je peine à imaginer cette durée. En revanche, je saisis tant bien que mal toute la portée de cette œuvre colossale qui est devenue, et je l’affirme haut et fort, ma saga favorite en fantasy.
On ne pouvait mieux conclure La Roue du Temps, du moins à mes yeux. D’aucuns auraient pu s’attendre à une longue préparation vers la bataille finale, et c’est le cas, mais avec rythme et dynamisme. Au-delà des discussions et négociations approche l’apocalypse, ce que l’histoire a parfaitement accompli tant les batailles abondent dans les quatre coins du monde.
Dans cet ultime tome se confrontent toutes les volontés. Une lutte entre le bien et le mal aurait pu paraître classique si elle n’avait pas été traitée avec autant de justesse. Là convergent chacune des intrigues, là s’entremêlent les centaines de personnages, pour un final dantesque, plus épique encore que ce à quoi je m’attendais. Bien sûr, avec son contenu de 1150 pages, A Memory of Light monte crescendo, mais l’apothéose est bien vite atteinte : quand le chapitre « The Last Battle résonne », il ne s’atténue que vers son épilogue, pour plus de 300 pages d’une confrontation attendue depuis des milliers de pages.
Ici se réalise la destinée des héros. Rand Al’Thor, le Dragon Réincarné, lutte contre le Ténébreux dans un combat psychologique où moult avenirs sont possibles. Mat Cauthon s’illustre comme meneur d’armée comme il ne l’a jamais fait. Perrin Aybara se fond, s’infiltre, chasse dans son monde de loups, plus puissant, plus déterminé. Elayne s’assume en tant que reine et dirige elle aussi des fronts, pareille pour Egwene qui enchaîne les actes héroïques. Nynaeve et Moiraine demeurent les soutiens de toujours de Rand tandis que Faile achève sa quête désespérée du Cor de Valère, Aviendha termine de devenir la sage qu’elle devait être et Lan assume sa destinée de roi. Héros comme méchants se rencontrent, se confrontent, concluent leur épopée.
A Memory of Light est un tourbillon d’émotions où rebondissements et révélations côtoient les traîtrises. L’action n’a jamais été aussi belle, aussi prenante, aussi tragique. Quand les dernières pages se tournaient, quand les morts jonchaient le champ de bataille, j’ai su que toute cette montée avait un but, et il a été réalisé avec brio.
La « Last Battle » tant annoncée débute lentement, mais plus elle avance, plus elle estomaque, plus les scènes marquantes se succèdent. Siuan Sanche se sacrifie pour sauver Mat et Tuon, emportée par sa destinée tragique. Gareth Bryne meurt à l’assaut, incapable de supporter le chagrin. Gawyn Trakand périt dans les bras de son frère après une défaite contre Demandred. Egwene Al’Vere, un de mes personnages préférés, est consumée par sa propre magie pour terrasser Mazrim Taim. De loin le décès le plus tragique de toute la saga : contrairement à beaucoup, j’adorais Egwene, tant pour sa détermination que ses exploits successifs, et je suis chagriné qu’elle soit le seul personnage parmi le sextuor principal (Rand, Perrin, Mat, Elayne, Nynaeve et elle) à y passer. Mais pour tous les sacrifices alliés, les ennemis sont vaincus les uns après les autres (sauf Moghedien dont le sort est assez rigolo), et, au-delà du sang et des larmes, le Ténébreux est de nouveau enfermé, et Rand, prétendu mort, s’exile pour conclure la saga
À présent, un vide est à combler dans mon cœur. Même si d’autres sagas fantasy m’auront marqué, on peut citer les œuvres de Tolkien, Hobb, Martin et Damasio, je crois que, de par sa longueur, La Roue du Temps aura réussi à s’imprégner plus longtemps en moi. Bien sûr, tous les personnages ne se valent pas, et la série accuse une certaine lenteur du tome 8 au tome 10, mais peu importe, car Robert Jordan, loué soit son âme, a réussi à bâtir un univers fantasy cohérent. Il a compris que la magie était primordiale et l’a bâtie de façon complexe et fascinante, bien au-delà des standards fantasy. Il a compris que les multiples points de vue et l’exploration d’une pléthore de nations enrichissaient l’histoire.
La Roue du Temps, c’est l’histoire d’une réussite. La complémentarité entre les hommes et les femmes, ce pourquoi les héros l’ont emporté contre des méchants désunis. Les péripéties de jeunes adultes propulsés dans un univers fascinant et pourtant bien plus dangereux qu’il n’y paraît. La création d’une mythologie à part entière, avec ses légendes, ses peuples, ses guerres. Si juste dans ses thèmes abordés, si prenantes dans ses intrigues entremêlées, La Roue du Temps est un chef d’œuvre de la fantasy.