Comme souvent dans les essais américains, une phrase sur deux est d’une profonde banalité. On redoutait un ouvrage tombant dans une naïveté un peu coupable, mais non, l’auteure ne tombe pas dans le piège d’un libéralisme bon à encourager car il génère des catastrophes qui sont l’occasion pour ses victimes de se transcender dans un altruisme détruit par la vie anonyme moderne.
L’autrice commence par raconter les suites du tremblement de terre de 1906 à San Francisco et surtout comment Mme Houlsher a monté une gargotte qui deviendra une célèbre cantine par la suite, le Mitzpah Café. Le désastre nous désengage de nos responsabilités quotidiennes et de ce fait nous procure une liberté appréciable tout en nous poussant vers de nouvelles tâches plus urgentes et qui nous apparaissent plus utiles donc sans doute plus gratifiantes.
Les victimes se sentent également transcendées par ce que le désastre détruit toute forme de limite relationnelle, les riches, les bourgeois, les prolétaires n’existent plus et nous redevenons tous tranquillement humains libres de converser tous ensemble.
Autre aspect intéressant est la spontanée redistribution des ressources, à un moment où la richesse n’est plus et où donc la rareté et l’égoïsme pourraient prévaloir, c’est pourtant le partage qui semble se dégager de ces heures sombres.
Vient ensuite l’analyse des pouvoirs publics et notamment des forces de l’ordre où immédiatement, les réelles natures de mépris à l’égard des classes populaires ressortent puisqu’elles voient la foule comme dangereuse et devant être mise sous tutelle. Les abus et les exécutions sommaires seront passés sous silence dans la version officielle.
Le chapitre dédié à William James est l’occasion de faire connaissance avec ce philosophe important de la culture américaine.
L’explosion d’Halifax en 1917 reste à ce jour la plus importante hormis les déflagrations nucléaires, avec ses 2000 morts, survenue dans l’hiver canadien.
L’exemple des populations enfermées dans les souterrains de Londres durant les bombardements allemands montre également comment elles peuvent être d’une remarquable intégrité quand on pourrait croire qu’elles pourraient tomber dans l’hystérie et le chaos ce que redoutaient les leaders du moment.
Il est intrigant de voir à quel point les films catastrophes entretiennent cette idée d’une foule devenant hystérique lors d’une catastrophe, c’est d’autant plus étonnant que du côté des sociologues, trouver une foule hystérique est presque impossible tant la panique est souvent de très courte durée et qu’elle est donc difficile à appréhender et à analyser.
Intervient à plusieurs reprises un biais qui dérange dans la réflexion menée par Solnit, elle met souvent la croyance en avant. Il n’y a pas de raison de lier la bonté humaine aux croyances qui l’habitent, l’éducation ou surtout la culture environnante y jouent pour beaucoup, mais Solnit à l’image de nombreux américains étend un peu trop la croyance en dehors de la seule sphère déiste.
Le tremblement de terre de 1985 au Mexique aura permis la refonte de la gouvernance municipale de Mexico, mais aussi à terme celle de la chute du PRI, même phénomène qui se produit au Nicaragua.
Globalement, au cours de la lecture, on passe trop souvent d’une catastrophe à l’autre amalgamant des événements entre eux ce qui nuit à la profondeur de l’analyse.
L’observation des comportements reste aussi délicate, on trouvera toujours des comportements héroïques ou stoïques (l’évacuation des immeubles lors du 9/11), mais on ne saura jamais si c’est extrapolable à l’ensemble de la population.
En parallèle de l’analyse du comportement des individus, deux autres entités auraient mérité plus d’approfondissement : la réponse des médias et la réponse des institutions (gouvernementales, policières, militaires, hospitalières…) et là, dans ce cas, l’exemple de Katrina est très douloureux. On sait que les médias sont très excités par le sang, leur caractère charognard pour les faits divers est connu de tous, mais dans le cas des désastres, rapporter mal des scènes de pillage dans des circonstances où les gens ont faim car les secours mettent du temps à arriver peut véritablement faire exploser une situation déjà délicate.
Les secours mettent du temps à arriver car généralement 40 ans de politique libérale sont passés par là. Mais ce n’est pas le seul problème, dans le cas de Katrina, les hautes instances ont clairement considéré le peuple comme une meute déchaînée et la Nouvelle-Orléans comme une zone de guerre et de chaos dont il fallait reprendre le contrôle, inutile de dire que le racisme a rejailli de manière frappante à ce moment-là. Pire que la police ou l’armée, ce sera carrément des milices type Blackwater (ces sympathiques mercenaires qui ont torturé en Irak) à qui on a demandé d’intervenir.
En conclusion, à une époque où pour préserver la capitalisme, on est en train de s’habituer à des catastrophes récurrentes et à la fin du monde, cette lecture fait grand bien car il semble que le meilleur en nous peut en sortir face à ces tragédies bien loin des clichés de paniques égoïstes, mais la lutte pour mieux les gérer (avoir des budgets suffisants pour entretenir les services publics) doit rester cruciale et surtout ne pas oublier que les privilégiés n’hésiteront pas à tomber dans des travers assez violents s’ils se sentent menacés.
Reste l’angoisse la plus poignante, Solnit considère surtout des exemples américains du XXième siècle, est-ce extrapolable à l’ensemble du genre humain et à toutes les époques ? Souhaitons-le ardemment car les décennies à venir risquent d’être particulièrement éprouvantes.