Une belle découverte
Une écriture magnifique, qui tombe toujours juste pour interroger la capacité des images à rendre compte du réel et du temps. Un temps dont l'auteur se joue pour nous faire voyager des voeux...
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le 6 sept. 2018
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Antonia a tout photographié. Toutes les banalités de l'existence mais aussi toute l'horreur. L'iniquité désastreuse d'une guerre qui oppose des peuples, déchire un pays, trucide, sans état d'âme, femmes, enfants, frères et soeurs. Tous les discours et fausses promesses politiques. Et puis les mouvements séparatistes, populaires, populistes, populeux avec cagoules, castagnes, coups de gueule, de coeur, de rage, de silence, sans oublier les coups bas de toutes sortes.
Elle a toujours regardé la vie à travers son viseur, elle ne s'est jamais trouvée.
S'est-elle perdue pour autant ? Dieu seul le sait… Et encore, même cela n'est pas sûr. Antonia a beaucoup mais mal aimé la vie. Elle n'a pas plus aimé la mort, celle des autres qu'elle fixait sur la pellicule, que la sienne qu'elle n'a pas vu venir sur cette route droite qu'elle a quitté.
Elle a raté le retour vers un chez elle où elle était attendue sans même vraiment le savoir. La dérision de la vie l'a projetée dans un ravin, un gouffre, sans même une trace de freinage. Elle qui pourtant avait voulu plus d'une fois marquer un temps d'arrêt, un ralentissement, un changement de cap…
Dans la tête, c'est si facilement concevable. Mais le passage à l'acte… relève d'un autre monde.
Aujourd'hui, les siens sont tous là. Las aussi de cette vie qui n'en finit pas de mourir. de ce rêve plus d'un fois conçu mais toujours avorté. Sa mère cherchera dans ses affaires une photo de sa fille, une photo à mettre sur la tombe pour que ses traits restent à jamais gravés dans les mémoires. Que jamais ils ne soient recouverts de la chape d'un oubli qui meurtri, estompe, efface et supprime. Antonia était photographe. Mais pas une seule photo d'elle n'existe. Aucune pellicule à son image.
A moins que son image ne soit toutes celles qu'elle a sorti des bains révélateurs… et surtout, peut-être, toutes celles qu'elle n'a jamais développées, n'ayant aucune certitude quant au message qu'elles diraient sur l'Homme, le Monde et le Passé qui tant a maltraité le Présent.
L'artifice de Jérôme Ferrari, en termes d'écriture, consiste à inviter le lecteur à suivre ce rite religieux en cheminant dans les pensées profondément humaines de son parrain, prêtre, qui cherche l'équilibre entre l'homme d'Eglise qu'il se doit d'être et l'humain désemparé qui veut garder les bras grands ouvert pour cette filleule qui s'est tant cherchée.
« A son image » est un hymne à l'humilité des représentations que l'Homme peut se faire d'un Monde où il arrive à vivre sans se trouver. Il est aussi la mise en valeur du point d'interrogation qui devrait accompagner tout énoncé de foi, toute croyance qui doit se fonder sur le doute, la recherche, l'affirmation réservée de nos bribes de compréhension et le silence profond du mystère qui permet la résonance de la vie.
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Créée
le 5 janv. 2019
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