À son image
7.2
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livre de Jérôme Ferrari (2018)

Antonia est photographe. Du genre frustré : elle ne met son art qu'au service des événements insignifiants que l'on trouve dans la presse régionale. Il faut bien vivre. Un jour, pourtant, elle choisit de prendre un congé sabbatique pour connaître le grand frisson du reporter de guerre, en Yougoslavie. Elle y côtoie Dragan, un chef militaire. Elle le retrouvera par hasard, au sortir d'un de ces mariages qu'elle s'était fait une spécialité d'immortaliser. Il faut bien vivre. Juste après, elle se tuera bêtement sur la route, aveuglée par le soleil couchant. Il faut bien mourir.

Antonia aura été aussi la compagne de l'un des plus fameux indépendantistes corses, Pascal B. Celui-ci aura beau la traiter selon le cliché du gros macho qui colle à l'île de Beauté, il aura beau lui imposer de longues absences dues à ses séjours répétés en prison, elle lui restera plutôt fidèle, malgré des incartades avec Simon T. qui lui vaudront un avortement.

Simon T., quant à lui, n'est pas non plus n'importe qui : c'est le fils de Damienne, l'ex compagne de l'oncle et parrain d'Antonia. Celui est devenu prêtre, c'est donc lui qui est chargé de la cérémonie funéraire de sa nièce chérie. C'est aussi lui qui lui offrit, à 14 ans, un appareil photo. Par une série de flashbacks, on va découvrir la vie de la jeune femme, marquée par la lutte des indépendantistes, prenant parfois un tour fratricide. Jérôme Ferrari, enseignant la philosophie en Corse d'où il est originaire, est attaché à la question. Dans A son image, il met le combat corse en regard de celui que mènent Serbes, Bosniaques et Croates pour conquérir chacun une nation. Le premier paraît bien dérisoire à l'aune de cet éclairage. Page 81, Antonia assiste à une conférence de presse cagoulée, où elle reconnaît aussi bien Pascal que Simon :

Elle ne participait pas à l'histoire exaltante d'une île de la Méditerranée mais seulement à un jeu puéril où d'anciens amis d'enfance se déguisaient en guerriers et en journalistes sans même parvenir à prendre leurs rôles respectifs au sérieux. Elle photographiait de mauvais acteurs récitant le texte incroyablement pompeux d'une pièce ratée que ni la violence ni les années de prison ne pouvaient rendre plus authentique et, dans cette pièce, Antonia jouait elle aussi, comme les autres, peut-être encore plus mal que les autres. Chaque fois qu'elle appuyait sur le déclencheur, elle validait cette mise en scène qui n'avait rien à voir avec la réalité mais n'existait que dans l'attente de sa transformation en images.

C'est peut-être cela le destin tragique d'Antonia : n'avoir jamais existé qu'à travers les images qu'elle produisait. D'ailleurs, on ne trouvera d'elle aucune photo à placer sur son cercueil. Et la jeune femme refusera de s'assurer une descendance, qui eût pu la faire exister comme mère.

Impeccablement écrit, d'un style assez riche sans être prétentieux, le roman de Ferrari suscite l'intérêt sans pour autant passionner : la faute, peut-être à un propos trop éclaté. Que veut nous dire l'auteur ? On peine un peu à répondre. Le roman est une réflexion sur la photo par rapport à la mort, sans doute. Sur l'engagement qui donne sens à une vie : entre l'oncle mû par la foi, Pascal qui finira par renier son enrôlement chez les indépendantistes face aux dégâts humains, Antonia elle-même enfin, incapable de choisir entre job alimentaire et oeuvre utile et entre les hommes qu'elle aime. Sur l'absurdité du destin, qui vous fait périr sur une route alors que vous êtes revenue saine et sauve d'un théâtre de guerre - comme dans Le salaire de la peur. Tous ces thèmes sont peut-être insuffisamment creusés : le récit perd en force ce qu'il gagne en subtilité. Le lecteur dira donc adieu à Antonia avec un peu moins de déchirement que son oncle et parrain.

Jduvi
7
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il y a 7 jours

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Jduvi

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