Ecœuré par le monde politique, l’obséquiosité mielleuse des courtisans, la vacuité du discours politique, Müller, plume d’un ministre viré après la défaite de celui-ci aux élections, s’est retiré dans sa maison, une demeure loin de tout en pleine campagne.


Là, pendant que Marceau, son jardinier, transforme avec une grande diligence et efficacité son terrain en un parc idéal, Müller tente lui d’écrire le discours politique parfait, un discours sans commanditaire, sans corps ni voix. Mais il semble en même temps convaincu de l’impossibilité de réaliser cette ambition, vu la manière dont il froisse et jette dans sa poubelle les feuilles à peine noircies de ces tentatives de discours.


Ce rythme de la table de travail et des saisons qui passent dans le parc embelli va être mis à mal par les corps disloqués successivement découverts dans le jardin, corps de suicidés se jetant du viaduc qui traverse la propriété, par les gendarmes qui viennent constater les décès et par les familles venant se recueillir dans le parc.


Flatterie et cruauté du langage politique sont au cœur du roman. Mais "Acharnement" ne se limite pas à une critique de la parole politique en tant qu’instrument de conquête du pouvoir, et fournit aussi une image fascinante de l’interaction entre la représentation du monde par le langage – politique et littéraire - et le monde lui-même.


"Acharnement" est aussi un roman totalement fascinant par sa temporalité, par l’évolution de ce couple Müller – Marceau, la dislocation de leur équilibre, leur détachement, leur chute. En prime – en continuation des Effondrés – on peut y lire des portraits très inspirés et extrêmement réalistes de figures politiques.


«Le premier de mes morts tomba sur les coups de six heures. Nul ne peut savoir, bien sûr, si, avant de basculer dans le vide du haut des quarante mètres de surplomb où il fomentait son plongeon définitif tandis que, dans le parc, Marceau s’affairait à la culture de ses plants, il avait vu ce dernier creuser, bêcher, rouler ou fumer l’une de ses continuelles cigarettes. Et si, en effet, il avait regardé en dépit de tout vertige vers le fond du précipice et avait vu Marceau s’agiter ou immobile en contrebas, nul ne peut savoir non plus, évidemment, si, gêné, il avait hésité un instant sur le seuil de sa chute par crainte de se répandre, tombé de nulle part, à quelques pas d’un honnête travailleur, ni si lui avait répugné la perspective d’exhiber l’impudeur de son corps brisé, écrabouillé, devant des yeux inconnus.»

MarianneL
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 19 oct. 2012

Critique lue 281 fois

7 j'aime

MarianneL

Écrit par

Critique lue 281 fois

7

D'autres avis sur Acharnement

Acharnement
rmd
8

Critique de Acharnement par rmd

Je n'ai pas grand chose à ajouter aux deux excellentes critiques de charybde2 et MarianneL, si ce n'est que la description de la société politique et les portraits de Mathieu Larnaudie m'ont souvent...

Par

le 26 oct. 2012

2 j'aime

Acharnement
TmbM
6

Critique de Acharnement par TmbM

Avec ses quelques défauts, Acharnement est donc loin d'être le livre parfait et il ne brille pas exactement par sa sobriété. Mais c'est plutôt un bon roman qui s'interroge sur le pouvoir des mots en...

Par

le 1 avr. 2018

Du même critique

La Culture du narcissisme
MarianneL
8

Critique de La Culture du narcissisme par MarianneL

Publié initialement en 1979, cet essai passionnant de Christopher Lasch n’est pas du tout une analyse de plus de l’égocentrisme ou de l’égoïsme, mais une étude de la façon dont l’évolution de la...

le 29 déc. 2013

36 j'aime

4

La Fin de l'homme rouge
MarianneL
9

Illusions et désenchantement : L'exil intérieur des Russes après la chute de l'Union Soviétique.

«Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions. On vidait nos cœurs dans nos cuisines. On voulait une nouvelle Russie… Au bout de...

le 7 déc. 2013

35 j'aime

Culture de masse ou culture populaire ?
MarianneL
8

Un essai court et nécessaire d’un observateur particulièrement lucide des évolutions du capitalisme

«Aujourd’hui il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous...

le 24 mai 2013

32 j'aime

4