Un livre à part dans la carrière de Westlake
Plus connu pour sa série de polars tragi-comiques mettant en scène John Dortmunder, cambrioleur aux aventures rocambolesques, Donald Westlake est un auteur prolifique aux multiples facettes puisqu’il s’est essayé au polar, certes, mais également au fantastique et même à la science-fiction. Si Adios Schéhérazade fait néanmoins figure d’olni dans un production littéraire pourtant très éclectique, c’est sans doute parce qu’il fonctionne selon le principe de la mise en abyme et que l’écrivain américain y a insufflé très certainement une bonne part de ses doutes et de ses réflexions. Pas étonnant que l’auteur ait avoué à plusieurs reprise qu’il s’agissait là de son roman préféré.
Très court, le roman raconte la plongée dans les affres de la page blanche d’un petit écrivain de romans pornographiques, Edward Toplis. Ce dernier est en réalité un nègre puisqu’il écrit pour un autre auteur et doit fournir chaque mois un nouveau manuscrit, écrit immanquablement en une dizaine de jours (délais d’impression oblige). Pourtant, Ed avait été prévenu, le boulot paye bien mais il ne peut qu’être temporaire, nul écrivain ne peut passer sa vie à écrire ce genre de littérature sans âme et sans ambition, sous peine de tarir un jour la source de son inspiration. Mais Ed n’a jamais pensé réellement au lendemain, il a enchaîné les romans faciles, encaissant la monnaie et se remettant à la tâche avec la régularité d’un métronome. Sauf que la mécanique a fini par se dérégler et que l’inspiration s’est faite de plus en plus rare, voire quasiment inexistante. Les retards se sont fait plus nombreux et les subterfuges pour tromper son éditeur de plus en plus réguliers. Face à sa machine à écrire et à la page blanche qui le toise de manière quasi sarcastique, Edward Toplis est au bord du gouffre, pas l’ombre d’une idée ne lui traverse l’esprit et il lui reste moins de dix jours pour écrire ses douze chapitres. Alors pour amorcer la machine, il finit par transformer en mots et en phrases ses propres divagations, ses fantasmes, ses craintes et ses angoisses, dans un récit à la fois drôle et loufoque où la réalité se mêle à la fiction de manière délirante. De son mariage raté à ses considérations sur l’écriture et sur le travail d’écrivain, en passant par ses fantasmes érotiques ou bien encore ses relations avec son éditeur, tout y passe avec plus ou moins de bonheur… jusqu’au point de non retour.
A la fois drôle et caustique, Adios Schéhérazade relève autant de l’exercice de style autoréférencé que de la thérapie tant le récit apparaît cathartique ; Westlake y mêle la pure fiction avec des considérations qu’on imagine tout à fait personnelles concernant son propre travail d’écrivain de littérature populaire, avant que son imagination ne prenne finalement le dessus et ne laisse place à une histoire délirante comme il en a le secret. Tout cela ne serait rien si Westlake n’avait mêlé à son histoire d’émouvantes réflexions sur le couple, qui donne bien plus de substance au récit. Sans pour autant être un chef d’oeuvre absolu, Adios Schéhérazade fait figure de roman sympathique et émouvant pour peu que le thème vous intéresse, autant dire que les fanatiques d’action débridée ou les lecteurs tout simplement attachés à une intrigue solide et passionnante passeront leur chemin. On reprochera tout juste à l’édition française, une traduction un peu datée, assurée par l’inénarrable Marcel Duhamel, dont on connaît assurément les qualités mais aussi les défauts (la traduction est truffée d’expressions argotiques parisiennes, ambiance Tontons flingueurs assurée, mais respect du texte mesuré). Que cela ne vous empêche toutefois pas de vous procurer cet étonnant roman.