Agaguk d' Yves Thériault, ou le roman du Grand nord par excellence. Œuvre fondamentale dans la carrière de l'auteur, elle sera récompensée par de nombreux prix littéraires, dont le prestigieux Molson. Centrée autour du personnage d'Agaguk, l'histoire narre l'isolement de cet homme – ou devrions-nous dire de cet « inuk » – dans des contrées elles-mêmes singulières. Lorsqu'Agaguk quitte son village, il emporte avec lui un tragique secret : le meurtre d'un trafiquant Blanc qui sera à l'origine de nombreuses aventures mais aussi mésaventures. Les péripéties d'Agaguk donc, mais pas seulement. En effet, le jeune inuk ne part pas seul pour bâtir sa nouvelle vie : il emmène avec lui Iriook, qui deviendra ainsi sa femme.
L'œuvre de Thériault est un dépaysement total, où le lecteur est instantanément immergé dans la dure et austère vie des Inuits. Avec une écriture intelligible et limpide, l'écrivain québécois tisse un récit qui nous plonge au cœur du désert glacial qu'est la toundra, où l'unique quotidien de ses natifs – humains comme animaux – est celui de la survivance. Pourvu d'un véritable talent de raconteur, Thériault établit la rupture entre l'état sauvage de l'Homme et sa moralité. Le lecteur, qui s'attachera rapidement aux personnages, ne pourra que constater leur évolution au gré des pages.
Cependant, l'aspect le plus profond et intense du roman, c'est la fécondation de l'amour dans le couple que forment Iriook et Agaguk. Le rôle de la femme dans l'édification de cet amour est puissant et réel. Comme dans toute véritable œuvre littéraire mettant en exergue un couple d'amants, Agaguk et Iriook sont sublimés, comme l'ont été Roméo et Juliette par Shakespeare ou bien encore Paul et Virginie par Bernardin de Saint-Pierre. C'est assurément sa femme qui fera d'Agaguk un véritable inuk. Et c'est bien là toute l'audace et peut-être même l'avant-gardisme de Thériault, dans le sens où il place la femme au cœur de son ouvrage : elle n'est plus seulement passive, mais pousse le cri qu'elle étouffe depuis tant d'années. Libérée de ce fardeau qu'est le mutisme, la femme s'impose – par Iriook mais pas seulement – comme un personnage clef, se issant au même rang qu'Agaguk. Thériault dira dans une autre de ses œuvres, La Rose de pierre, que « l'amour, c'est ainsi. Peu importe qu'il soit consommé, pourvu qu'il soit grand, si droit et si fort, et si puissant en toutes ses racines qu'il subsiste, comme la rose de pierre, par-delà tous les millénaires », paroles que l'on pourrait appliquer sans hésitation à Agaguk, tant l'amour est central dans ce roman.