Plume acérée et Algérie meurtrie
Amateurs d'Arthur Conan Doyle et autres Agatha Christie, n'ouvrez pas ce roman en vous attendant à mener l'enquête auprès d'un Sherlock Holmes ou d'un Hercule Poirot !
Rien de tout cela dans l'œuvre de Yasmina Khadra, Morituri. Bien évidemment, le contexte est tout autre : adieu les campagnes écossaises tranquilles et les contrées britanniques, bonjour l'Algérie meurtrie ! De plus, ne commencez pas la lecture de ce polar avec l'espoir d'une écriture féminine et légère : le nom de Yasmina Khadra n'est qu'un leurre. En effet, sous ce cryptonyme se cache un homme, Mohammed Moulessehoul, commandant dans l'armée algérienne – il démissionnera en 2000 pour se consacrer exclusivement à son métier d'écrivain.
Khadra dira que « l'homme est le croisement de l'ange et du démon. Il est fondamentalement bon et forcément méchant ». Dans Morituri, il illustre ses paroles à travers un panel de personnages qui évoluent dans une Algérie en pleine guerre civile, à commencer par le personnage central : le commissaire Llob. Homme lassé, Llob est sans cesse menacé par l'épée de Damoclès, flottant au-dessus de sa tête. Les agents de police comme lui ou bien Lino, son lieutenant, sont pris pour cibles par des groupes terroristes essayant de réduire à néant le système gouvernemental de l'Algérie. D'une autre part, afin d'accélérer le processus d' « assainissement culturel », auteurs, chanteurs, journalistes, artistes et autres représentants – directs ou indirects – du milieu sont assassinés. Les hommes comme le commissaire Llob se couchent chaque soir en pensant que ce jour passé sera le dernier de leur vie.
La force de Morituri réside en sa manière de capturer adroitement l'atmosphère des années 1990 d'Alger, une ville dans laquelle la paranoïa et la peur ont gouverné durant une longue période. Ce roman policier « total » explore un pays en guerre, ses douceurs et ses richesses, mais aussi et surtout le sang qui en abreuve les terres, le terrorisme et toute l'horreur qui s'en dégage.
L'intrigue pourra sembler décousue pour nombre de lecteurs, perdus dans la masse de personnages et d'éléments narratifs. Cependant, et c'est là le point stylistique fort de l'auteur, ces bibliophiles peu convaincus se laisseront prendre au jeu – ou du moins à l'enquête – grâce à la plume sarcastique et persifleuse de Khadra, permettant de prendre une bouffée d'air sous cet amoncèlement de macchabées...