Un hobereau du XVIIIe siècle écrivit qu’« à force d’être malheureux, on finit par devenir ridicule » : peut-être Jacques Rigaut fut-il très malheureux, mais il parvint, dans les courts textes de cette Agence générale du suicide, publiés par Pauvert trente ans après sa mort, à éviter l’impression de ridicule. On n’est pas toujours loin de la ligne blanche, mais enfin tout cela n’a rien à voir avec les jérémiades post-adolescentes d’un gosse de riche, toujours à redouter lorsqu’on parle d’un écrivain mondain à propos duquel, pour dix personnes qui savent qu’il s’est suicidé, trois ou quatre l’ont lu : Rigaut plus célèbre pour sa vie que pour son œuvre, et pour sa mort que pour sa vie.
On trouve à boire et à manger dans ce recueil. Un certain goût du paradoxe : « La seule façon qui nous soit laissée de témoigner notre dédain de la vie, c’est de l’accepter » (dans « “Je serai sérieux comme le plaisir…”, p. 28 de la réédition Sillage). Les fruits d’une introspection amère : « Il est bien évident que je suis nul. Me suis-je assez moqué des mots “cœur” et “âme” pour découvrir avec pâleur, un beau matin, qu’il ne m’en restait plus ! Je n’imagine rien d’aussi sec que moi. Je ne tiens à personne ni à rien. Je n’attends rien » (dans « Propos amorphes », p. 42-3). Ou encore l’idée, qui court depuis l’Antiquité et qui me laissera toujours dubitatif, que le malheur est le prix de l’intelligence, voire du génie : « L’intelligence mène inévitablement au doute, au découragement, à l’impossibilité de se satisfaire de quoi que ce soit » (dans « L’affaire Barrès », p. 26).
Mais c’est dans les aphorismes que Rigaut est le plus intéressant, le plus littéraire aussi, dans la mesure où chaque mot – sonorité, sens et place – y pèse son juste poids, et où c’est au lecteur de rétablir tous les liens : « Ne perdez pas votre temps à tendre l’autre joue et autres jeux d’accommodation. Si vous cherchez un siège à votre taille, la mort vous va comme un gant » (p. 64). Ces maximes sont riches jusque dans leurs ambiguïtés : s’« Il n’y a au monde qu’une seule chose qui ne soit pas supportable : le sentiment de sa médiocrité. » (p. 43), s’agit-il de la « médiocrité » du « monde » ou de celle de l’homme qui le fréquente ?

Alcofribas
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le 21 févr. 2018

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