Premier roman d'Antoine Chainas, dont j'ai lu récemment "Anaisthêsia". Je n'avais même pas fini ce dernier que je voulais déjà en acheter un autre du même auteur, pour le lire peu après. J'aurais pu acheter "Aime-moi Casanova" en premier, pour faire dans l'ordre chronologique, mais Anaisthêsia avait reçu un prix, je préférais tester celui-ci pour m'assurer que le style de l'auteur me plaisait.
Ce n'est donc pas tellement le titre et la couverture de l'édition Folio qui font penser à un roman à l'eau de rose qui m'ont rebuté.
Je savais, à la lecture du résumé au verso (un peu fantaisiste, par ailleurs) qu'il est question dans ce roman d'un flic sexoolique, mais avoir un livre comme celui-ci en main dans le métro, ça le fait quand même moins que quand on lit Anaisthêsia, qui présente au recto cette photo esthétisée d'une femme au visage enrobé de bandelettes qui, j'aime à le penser, avait de quoi faire un peu peur aux gosses.

Comme je l'avais évoqué dans mon avis sur Anaisthêsia, c'est un article traitant des auteurs semblables à Chuck Palahniuk qui m'a mené à Antoine Chainas.
Avec Aime-moi Casanova et son personnage principal accro au sexe, on pense à Choke. Mais la comparaison s'arrête là.
Le héros, Milo Rojevic aka "Casanova", est un flic incapable, qui a été toujours couvert par son collègue de travail. Mais quand ce dernier disparaît, Milo est chargé de le retrouver, et se retrouve complètement paumé quand il doit enfin penser avec autre chose que sa bite (idée d’intrigue intéressante, déjà).
Casanova s’aperçoit qu’en fin de compte, il ne savait rien de son collègue, qui était par ailleurs resté très mystérieux. En se mettant à la recherche de cet être très effacé, qui sera sûrement oublié par tout le monde bientôt, Milo se rend compte de sa propre vacuité, que son existence à lui aussi est vide.
Le protagoniste nous est introduit lors d’une séance de baise dans des toilettes publiques, durant laquelle se mêlent douleur et jouissance. Mais Casanova se fout de la souffrance, tant qu’il obtient ce qu’il souhaite de sa partenaire, une femme qui n’a plus rien d’humaine sur le moment.
Hormis la pénétration, l’acte sexuel est dépourvu de tout ce qui le compose dans un cadre ordinaire : l’auteur rend les conditions vraiment dégueues, ça se fait dans des WC crades, et il n’y a pas un mot ni un geste de tendresse entre les deux actants.
La crasse dans ce roman s’étend au-delà de ce que fait le personnage principal, puisque l’auteur use régulièrement de métaphores inutilement vulgaires, il compare par exemple le fait que Casanova attire les emmerdes à une merde qui attire les mouches, cela avec une description assez imagée pour être bien repoussante. C’est souvent gratuit et provocateur sans raison, "le capot était aussi froid que la chatte d’une féministe communiste".
Il y a également ces détails non moins gratuits mais en plus de cela poussifs ; je pense à la concierge incontinente qui se pisse dessus sans s’en apercevoir, ce qui alimente les fantasmes du héros.

On peut se dire que cette vulgarité excessive est à attribuer au héros, ce qui ne pourrait tout excuser toutefois. Même dans le récit à la troisième personne, on retrouve des éléments subjectifs qui se rapportent forcément au personnage de Casanova, mais au cours du roman on passe régulièrement d’une focalisation omnisciente à une focalisation interne. C’est là la spécificité de ce roman, qui alterne entre ces deux types de narration sans aucun chapitrage, mais les sépare par un astérisque.
Bizarrement, à côté des descriptions grossières évoquées ci-dessus, souvent, les pensées formulées par Casanova s’arrêtent avant qu’on n’en arrive à un propos lubrique, la phrase étant interrompues par trois points de suspension. Je me dis que ça doit correspondre à l’idée que le personnage essaye de retenir ses pulsions.
Que ce soit en focalisation omnisciente ou interne, on adopte le parler de Casanova. Il donne à certains termes un sens qui m’était inconnu, et sort des expressions avec lesquelles je ne suis pas plus familier. Ca se remarque surtout dans les 100 premières pages je dirais, par la suite il ne me semble pas que ce soit ainsi ; il n’y a rien de tel qui m’avait frappé dans Anaisthêsia, donc je suppose que c’est voulu.
C’est beaucoup plus marqué avec un autre personnage, un boucher, qui ne parle que dans un argot qui ne peut être qu’inventé par l’auteur ; je refuse de croire que des gens parlent réellement ainsi !
Je ne sais trop que penser de tout cela. Mais le choix de l’auteur que je trouve le plus curieux, c’est celui d’insérer dans ce récit en français des mots et des expressions anglaises transposées dans notre langue. Le héros s’exclame "Jésus !", un enfant appelle sa mère "Mum" sans raison apparente, … et il y a des références à la culture anglaise/américaine uniquement, avec des titres en VO : "Body snatchers", John Merrick, etc.
Un véritable problème de l’écriture par contre, c’est qu’à plusieurs reprises, j’ai eu du mal à comprendre l’emplacement et la position des personnages. La position de Casanova et de la camée quand ils baisent aux toilettes (elle est sur lui, mais il ne voit pas son visage ; une fois fini, il se retourne, et apparemment elle l’enjambe pour sortir… ?). La position de Casanova quand il est dos à ses collègues, se retourne vers eux, mais qu’il est ensuite écrit qu’ils forment un mur derrière lui. Là aussi, comme pour le jargon de Casanova, c’est quelque chose qui ne m’est apparu qu’au début du récit.

Pour avoir lu Anaisthêsia avant, je sais qu’après quelques livres, Antoine Chainas a su régler ces problèmes.
Il y a, autrement, quelques points communs entre ces deux romans que j’ai lus.
Un personnage est présent dans les deux, il s’agit de "Gros Charlie" (s’il s’agit bien du même).
Et le héros se retrouve ici aussi dans un club privé pour déviants sexuels (avec un menu fort amusant). Casanova s’y retrouve "piégé", il trouve autre chose que ce qu’il recherchait en arrivant là pour son enquête, une dresseuse de chiens pour séances zoophiles arrive à lire à l’intérieur du héros bien malgré lui, et ce dernier découvre avec effroi qu’en ce lieu il se sent… à sa place.
Casanova est un personnage qui est conscient qu’il est malade, c’est quelqu’un qui ne se sent pas bien dans sa peau, et ne peut s’empêcher de coucher avec n’importe qui. Il a cette colère contenue en lui en permanence, et qui ne peut être momentanément apaisée que par le sexe.
J’ai trouvé très bien la façon dont est dépeinte sa situation et ses ressentis, quand il dit qu’il culpabilisait lorsque son ex-femme le regardait amoureusement, alors qu’il l’avait trompée l’heure, le jour, ou la semaine d’avant.
[spoiler] L’idée que, lors de l’"incident", Casanova ne pense qu’au fait que sa femme savait tout depuis le début au moment, est pas mal aussi.
M'a particulièrement plu également la scène de séduction avec l'ex-femme du collègue de Casanova, qui joue avec lui.

Le roman a ses moments comiques. Enfin, tout en restant assez dérangé.
Il y a ce passage avec un sosie d’Elvis qui m’a bien fait marrer :
"Il descendit alors d’un bond de son tabouret et se déhancha comme un putain d’handicapé moteur. Casanova réprima un sursaut.
- A wop bop a loo bop a lop bam boom ! s’exclama le rocker.
Puis il resta figé dans une posture grotesque qui rappelait un peu celle du mec qui s’est pris un coup dans les roubignoles et ne sait plus s’il doit bouger ou non. Après un long moment de silence, Casanova comprit que c’était sans doute sa manière à lui de dire « au revoir »."
On peut voir là de la méchanceté gratuite envers un personnage qui est excentrique uniquement pour apporter un peu de décalage supplémentaire au roman… mais c’est vraiment drôle.
D’autres fois, c’est beaucoup trop étrange pour ne pas nous sortir du récit.
Les tueurs à gages qui forment un duo homo aussi hétéroclite que Laurel et Hardy, et qui se touchent mutuellement les fesses, c’était un peu trop.
Il y a également des éléments surréels dans un récit autrement ancré dans la réalité, ce qui m’a fait penser au "nain" meurtrier dans Anaisthêsia ; ici on a un fiston à sa maman monstrueux, et une bagarre qui relève presque du fantastique, entre Casanova et le boucher.
Over-the-top aussi, la vision très négative de la police, c'est presque trop pour qu'on y croie.

Il y a de bonnes idées, là aussi j’ai beaucoup accroché à ce roman que j’ai lu assez rapidement, mais il y a des maladresses et trop d’idées farfelues qui n’ont pas tellement leur place ici.
Je lirai certainement bientôt le roman suivant, Versus, et je suis sûr qu’il y aura déjà des améliorations à remarquer.
Fry3000
7
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le 18 août 2012

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Wykydtron IV

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