(Je lis Sophocle dans l'édition GF 1964, avec la traduction de R. Pignard).
Dans le camp des Grecs, après la victoire sur Troie, Athéna et Ulysse discourent d'Ajax. Le deuxième Grec le plus fort après Achille est devenu fou de colère de ne pas s'être vu remettre les armes de ce dernier. Il a prévu de tuer tous les chefs grecs de nuit, mais la déesse l'a rendu momentanément fou et il a tué du bétail, croyant tuer des hommes. La scène suivante voit Tecmess, femme et captive d'Ajax, se lamenter et accueillir le héros défait, vacillant devant le déshonneur qui le frappe. Il envoie chercher son fils Eurysace, qu'il veut confier à son frère Teucer. Il s'enfuit pour aller se suicider sur son épée, près du rivage. Teucer trouve le cadavre et veut l'ensevelir, mais Ménélas, puis Agamemnon traitent Ajax de traître, son frère de sang-mêlé et le roi argien interdit fermement l'inhumation. Finalement, c'est l'intervention d'Ulysse, le rival et ennemi d'Ajax de son vivant, qui fléchit le roi et permet d'obtenir l'inhumation.
40 pages de réflexion sur l'homme, son destin personnel et la justice de la communauté. Ajax est une figure de l'hybris. Lorsque son père lui conseille "Ne triomphe pas sans les dieux", il lui répond
Père, avec les dieux, un homme de rien peut vaincre ; moi, je me fais
fort de triompher sans leur aide !
. C'est une figure du courage physique et de la dignité guerrière, par opposition à la ruse et à la civilisation d'Ulysse, comme le dit Agamemnon : *
Les hommes vraiment solides ne sont pas les colosses à larges épaules
; c'est l'esprit qui partout l'emporte : l'énorme boeuf pansu, un
fouet léger l'oblige à marcher droit*.
Quelques notations au passage :
- Le coryphée donne un rappel net de la guerre homérique, où les héros émergent des masses de clampins/fantassins :
Tels sont les gens qui contre toi s'ameutent ; et nous, devant leurs
attaques, nous ne valons rien sans toi, mon maître !
Même s'il est question ici de l'armée des calomniateurs qui conspuent Ajax.
- Lorsque Teucer veut empêcher Ajax de commettre sa folie, il énonce le vieux proverbe machiste grec "Le silence est la parure des femmes".
- Teucer devant Ajax chancelant
"Est-ce là le langage d'un grand coeur ? Naguère il en aurait eu
honte."
- Ajax à son jeune fils, avant de partir se tuer :
Il y a un bonheur que j'envie à ton âge : c'est que tu ne puisses
comprendre mes misères. Vivre sans avoir conscience des choses, c'est
charmant. Un jour, tu sauras ce que c'est que la joie et la
souffrance.
- Monologue avant le suicide :
Ce sont les chefs, il faut s'incliner. Pourquoi non ? L'habileté et la
force s'inclinent devant le pouvoir. Après les neiges de l'hiver vient
l'été chargé de fruits ; la triste voûte nocturne s'efface pour que le
jour, menant ses chevaux blancs, savent endormir la mer grondante, et
le sommeil tout-puissant nous enchaîne, mais pour nous délivrer
bientôt.
- Sur la cruauté du destin, Teucer :
En ceci comme en toute chose, je soupçonne la main des dieux. Ceux que
choque ce sentiment, qu'ils pensent ce qu'ils voudront. Je m'y
tiendrai.
Tout Sophocle est là.