UN ROMAN DÉRANGEANT ET POÉTIQUE SUR LA RECONSTRUCTION

Nouveau roman de Phoebe Hadjimarkos Clarke, Aliène, est un récit littéraire dérangeant, âpre mais d’une sublime qualité littéraire.


Une maison de Cornac, entourée de forêts, c’est le domaine de Luc, que Mado, sa fille fait connaître à son amie. Car, Luc et Hélène ont décidé d’un voyage et ont besoin d’une « dogsister ». Fauvel, du prénom qu’elle s’est inventée, est choisie pour cette tâche concernant une jeune chienne Hannah, réplique génétique de celle morte et empaillée qui siège dans le salon. Mado espère que son amie,en quittant la ville qui l’a abîmée, pourra aller mieux.


Fauvel est un être en déshérence, avec son œil sacrifié, lors d’une manifestation des Gilets Jaunes et son corps apeuré qu’elle essaye d’endormir de différentes façons. Face à la violence qu’elle subit, une colère sourde la mine. La proximité d’une chienne génétique, identique à celle morte mais différente par la violence de sa colère, représente un double idéalisé, vengeresse et protectrice pour la jeune femme. « Elle pense à la colère qui anime la chienne et la voit comme pouvant être la sienne. Une vie et un corps qu’elle n’a pas choisis. «


Se rajoute à ce tableau, des tueries d’animaux, des extraterrestres de passage avec en fond, le bruit d’une usine d’embrouillage de l’eau du coin aux vertus particulières.


Roman atypique

Aliène est un mot qui n’existe pas. Contraction des Aliens, ou extraterrestre, constatés par certains chasseurs depuis assoiffés de violence, et aliéné, comme le sort des jeunes femmes. En effet, Mado est comme désaxée par sa dépendance sexuelle. Fauvel, elle, frise la folie avec à la fois, sa peur et son envie de destruction. De plus, un fou violent les domine de son emprise destructrice.


Phoebe Hadjimarkos Clarke raconte une jeunesse perturbée au destin incertain, attirée à la fois par la satisfaction immédiate et la recherche d’une possibilité de s’inscrire de façon vivable et au long cours dans leur société contemporaine.


Fauvel, le prénom que se donne l’héroïne, est aussi un abrégé entre fauve, comme qualifie sa population contestataire l’Etat Français, en leur envoyant des tirs de LBD, et elle, jeune femme défigurée à vie, qui doit contenir sa rage destructrice qu’elle détourne sur elle, en visant l’enfermement.


La reconstruction

Seulement, Fauvel en quittant la ville retrouve sa part d’humanité mêlant sa part d’animalité à la nature omniprésente. La qualité littéraire de Phoebe Hadjimarkos Clarke est une autre des surprises de ce roman. Par ses mots, elle réveille tous les sens, mis en alerte par l’hypervigilance sensorielle de son héroïne. Elle invente une manière de les détailler si précisément associant des trouvailles et mariages des mots. Ou, au contraire, en anesthésiant, dans le brouillard des rêves et des hallucinations, les sensations de Fauvel, elle nous les livre ouatées et comme édulcorées.


Grâce à la chienne clonée, Fauvel revient à la vie. Une identification salvatrice transforme l’héroïne et l’ouvre à l’amitié d’un Mitch-Mitch et à une sonorité transformée avec Mado et son amie. Phoebe Hadjimarkos Clarke choisit la technologie moderne pour aider son humaine à revenir à la vie. Point de vue complètement inverse de positions alarmistes souvent énoncées !


Traductrice, Aliène est le second roman de Phoebe Hadjimarkos Clarke. Un nom où on devine le mélange des cultures pour soutenir la profondeur d’un propos étonnant mais poétique !


Sans le Prix du livre Inter, je n’aurais pas lu ce roman. Pourtant, sa forme, même si elle m’a déroutée au début, m’a absorbée complètement, attirée par un récit sauvage, atypique, halluciné et pourtant si présent dans l’énonciation des préoccupations actuelles qu’il soulève. Un grand coup de cœur !

Chronique illustrée ici

https://vagabondageautourdesoi.com/2024/06/17/phoebe-hadjimarkos-clarke-aliene/

matatoune
9
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le 17 juin 2024

Critique lue 78 fois

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