Le jour de la marmotte cyberpunk
Ca se passe comme ça : le personnage principal, Kiriya, est soldat dans une guerre futuriste menée par l’humanité contre des envahisseurs extraterrestres bien vénères. Dès sa première bataille, notre héros crève en moins d’une minute, et se réveille immédiatement le matin précédent, pour reproduire le même schéma. Comme Bill Murray et quelques bonnes centaines d’autres personnages de fiction avant lui, Kiriya est coincé dans une boucle temporelle.
Avec All You Need Is Kill (dieu que ce titre est grandiose – si ça ne tenait qu’à moi, je lui décernerais une médaille), Sakurazaka s’attaque donc à un concept narratif bien éculé, occasionnellement kiffant mais surtout dangereux car casse-gueule : l’ennui trouve au sein des temporalités cycliques tous les matériaux dont il a besoin pour se faire un nid douillet dont il peut être difficile de le déloger.
Mais ces considérations sont littéraires et, du coup, l’auteur s’en bat un peu les couilles. Parce que lui, au fond, son dada, c’est les jeux vidéos ; c’est en tout cas la forte impression qui ressort de son bouquin. Comment ce trait se manifeste ? Facile : les seules descriptions servent à créer des scènes d’action, les personnages ont des gueules et des légendes en guise de personnalités, et puis il y a des gros flingues, et un même un boss final qu’il faut buter de manière bien spécifique pour finir le niveau. Les répétitions ne sont que des fails qui ramènent au dernier point de sauvegarde.
Mais du coup, même si on n’a jamais l’impression d’avoir entre les mains un futur grand classique de la littérature internationale, le truc se lit grave bien. Le rapprochement vous paraîtra peut-être raciste, mais j’ai retrouvé avec All You Need Is Kill certaines des sensations qu’on peut avoir en lisant un bon gros manga d’action de derrière les fagots, notamment cette impression de fuite en avant perpétuelle, comme si le récit tout entier était une monstrueuse scène d’action ininterrompue, même lorsque les personnages ne se battent pas. Et du tout, atteindre une telle fluidité narrative avec une structure aussi intrinsèquement segmentante, c’est tout de même un joli coup, ça se respecte quoi.
Avec ses chapitres ultra-courts et ultra-rapides, All You Need Is Kill connaît aussi ses limites, et du coup le bouquin ne passe pas trop de temps à développer vraiment en long en large et en travers l’univers SF dans lequel il se déroule ou les détails profonds de la guerre entre les humains et leurs ennemis aliens. Ca pourra vous faire chier si vous êtes fan de cet aspect précis du genre, mais selon moi ce genre de considération est complètement hors de propos… On a là un bouquin de forme plus que de fond, et le genre SF est plus un prétexte mécanique de la narration qu’une vocation profonde de l’auteur.
All You Need Is Kill n’est pas un grand cru qui se déguste dans un ralenti méthodique avec un air de fin connaisseur absorbé, c’est un shot d’alcool fort qui se descend cul-sec et s’apprécie plus sur le moment que par ses relents ultérieurs. Vous passerez un bon moment avec, sans voir défiler le temps, et puis basta. On ne peut pas demander à toutes ses lectures d’être des chefs d’œuvres, et heureusement bordel.
Petite note éditoriale, tout de même : en me renseignant sur le bouquin sur internet, j’ai appris que l’édition japonaise originale comportait des illustrations… Soyez donc prévenus qu’elles sont absentes de l’édition américaine publiée par HaikaSoru (filiale de VIZ Media).
Ma critique vous a donné envie de le lire ?
Et bien voilà celle qui l’a fait pour moi (histoire de rendre à César etc.) :
http://thebestplace.fr/2010/05/15/779-%E2%80%93-book-review-131/