Alto Solo
7.4
Alto Solo

livre de Antoine Volodine (1991)

Cet opus est bien écrit comme d’une note tenue sur ses coutes 120 pages d’un solo d’alto. Une note aigüe et douce, qui se termine dans la tristesse fatale des cris des victimes.
La structure avant le concert / le concert et sa dérive tient bien : l’ironie dramatique tord bien les boyaux à pressentir dès le début le malheur et la violence dans une première partie et d’assister à la fatalité tragique se dérouler dans la seconde.
Ce sont les mêmes ressorts qu’emploie d'ordinaire Volodine de manière virtuose qui sont utilisés : l’impuissance face à la brutalité cruelle des milices racistes et orgueilleuses (ici les « frondistes », appellation suggestive pour un mouvement populiste extrémiste scandant « un peuple, une culture »), l’empathie pour les « oiseaux », les « nègues », et le flottement du lieu et du temps (ici les années ’90, mais où ? quand ? partout, tout le temps, potentiellement).

Cependant, je ne le cacherai pas, j'ai eu une certaine déception à la lecture de ce livre. Les personnages sont présentés puis abandonnés. Ils ne marquent pas, si ce n’est dans les derniers moments. Les images, si vitales chez Volodine, utilisées en contrastes avec l’obscurité et le noir complet où nagent les personnages, sont ici presque absentes, si ce n'est le rêve bleu de la fin. De même l’écriture de Volodine sort des brumes des « enfers fabuleux » de Denoël qui m’avait enivré comme une Sibylle, et ce pour se produire une seconde fois chez Minuit, avec une tonalité plus neutre qui porte même en elle un mouvement étrange de reniement sous la figure de l’écrivain Iakoub Khadjbakiro, auteur putatif de l'excellente "Biographie de Jorian Murgrave" dans "Le post-exotisme en 10 leçons, leçon 11" : il souffrait de rédiger des ouvrages peu conformes au goût du public, remplis d'énigmes que peu de lecteurs décortiquaient, des textes pour oiseaux perdus qui ne lui assurait aucun succès et lui attiraient la réprobation des services frondistes. Il aurait voulu bâtir un livre plus efficace, où la poésie ne s'interposerait pas entre lui et sa dénonciation de l'idéologie dominante, une oeuvre sans décalages, sans chimères, sans emboîtures. (...) Mais il ne réussissait pas à mettre en pages, sans métaphores, sa répugnance, la nausée qui le saisissait en face du présent et des habitants du présent."
"Alto Solo" m’a fait l’effet de ce livre impossible et raté de Iakoub Khadjbakiro, l'exemplification de ce reniement du baroque Jorian Murgrave pour des tournures sans "emboitures", sans métaphore forte et finalement un récit terriblement lisse, même si cet aspect lisse, la mécanique bien huilée de la tragédie, les images et formules sans aspérités d'un fascisme ordinaire, le déroulé sans accrocs d'un malheur politique inéluctable et atemporel sont précisément, la terrible puissance de fascination de ce livre.
Raphmaj
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le 3 juin 2013

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Raphmaj

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