On peut tout faire par amour du nanar… tout, même l’impossible.
Comme s’infliger un roman exécrable de 300 pages, écrit par Jean-Marie Pallardy, réalisateur de White fire, l’un des films fétiches de la communauté nanarlandaise.
Pour moi toutefois, le meilleur de Pallardy est Kill for love, adapté justement du roman dont il est question ici : Amours parallèles.
Je me suis rappelé soudainement l'existence de ce bouquin il y a quelques temps, et bien malgré moi, en quelques clics je me suis retrouvé à le commander, tout en me maudissant d’acheter au prix du neuf un machin pareil.
C’est le premier et unique roman de JMP, qui s’est improvisé auteur à 67 ans. Vraisemblablement, avec le temps, il a eu de plus en plus de mal à faire ses films : autrefois, il pouvait faire un long-métrage en semi-amateur, et trouver des financements et des distributeurs grâce à son bagout et sa grande gueule, mais aujourd’hui les producteurs sont beaucoup plus précautionneux. Par ailleurs, Pallardy aurait brûlé des ponts avec pas mal de contacts (on m’a raconté qu’il ne se gênait pas pour draguer les femmes de producteurs importants, et en leur présence), en plus, bien sûr, de faire preuve d’incompétence et d’un manque d’organisation dans la conception de ses films.
Donc tout indique qu’Amours parallèles est un scénario que Pallardy a transformé en roman, à défaut d’avoir pu le tourner, à l’époque du moins.
Rien qu’à la couverture, on se rend bien compte qu’on a affaire à une pauvre édition, sans même une image d’illustration, et ça sent encore plus l’amateurisme dès la filmographie de l’auteur rédigée en début de bouquin, à cause de la mise en forme et de la ponctuation hasardeuses. Par la suite, il manque souvent de la ponctuation, des fois des mots, … et il n’y a pas de chapitre 32, comme on me l’a fait remarquer.
Ce qui est intéressant pour les fans du cinéaste, c’est que dans sa filmo, il liste même des scénarios jamais concrétisés, dont Un homme porté par le vent, qui est un projet qu’il aimerait tourner encore aujourd’hui.
Le roman en lui-même est intéressant aussi quand on connaît la personnalité de Pallardy et ses obsessions (qui ne sont pas difficiles à cerner).
Le personnage principal est clairement un alter-ego de l’auteur, c’est le rôle qu’il s’est donné dans le film d’ailleurs, et il se décrit comme un baroudeur sexagénaire, beau et sportif.
Evidemment, le livre ne tarde pas à être bourré d’allusions sexuelles complètement gratuites : il suffit que le héros marche dans la rue et il entend des ébats depuis une fenêtre.
Il devient évident que JMP étale ses fantasmes sur le papier, et c’est embarrassant par la beauferie des situations et parce que le type se berce d’illusions en se projetant en homme riche, qui arrive à séduire immédiatement une femme de 40 ans sa cadette.
Et juste après, ça enchaîne avec une scène lesbienne.
Amours parallèles est une succession de passages où je secouais la tête tant c’est du n’importe quoi constant.
Les dialogues sont atterrants et ont l’effet d’un coup sur le crâne.
Pallardy va au gré de ses envies, sans se soucier du bon sens : on croirait lire un scénario de film érotique avec un peu de drame, de thriller, et d’action. Et puis encore plus d’érotisme, qui arrive comme un cheveu sur la soupe.
Les femmes n’arrêtent pas de se faire draguer, de flirter entre elles, ou d’aguicher les hommes n’importe où et n’importe quand (genre la châtelaine qui se tripote dans les cuisines, au milieu du cuistot et de ses assistants, juste pour les taquiner, puis s’en va).
Pallardy n’arrête pas de comparer ses personnages féminins à des chattes qui ronronnent, et bien sûr, dès que l’une d’elles fait son apparition, il faut préciser qu’on aperçoit ses seins, ou détailler la forme de sa poitrine, ou préciser qu’on devine un bout de téton.
Page 56 : "Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, ronronne Anna tout en s’étirant et en laissant apparaître le haut de ses seins sous le col du peignoir qui s’entrouvre.
On les devine splendides, ronds, fermes. La peau tendue à la base du cou donne immanquablement l’envie de lui déposer un délicat baiser dans le creux de l’épaule."
Et après, ça continue pendant 17 lignes pour dire qu’en gros, Pallardy a envie de se taper son personnage.
C’est incroyable que, dans plusieurs interviews, le bonhomme critique des gens qu’il considère comme des obsédés ou des vicieux. Ne se rend-t-il pas compte qu’il en fait partie ?
A force de voir Pallardy, IRL ou en vidéo, et à force d’entendre ou lire divers témoignages le concernant, il apparaît comme un prédateur sexuel qui drague toutes les femmes qu’il croise (même encore aujourd’hui à presque 80 ans et en ayant des enfants), et qui a fait des films pour coucher avec ses actrices (il le dit plus ou moins lui-même).
La façon dont il fait parler ses personnages féminins dans Amours parallèles est un reflet effrayant de sa personnalité : il leur fait dire qu’elles sont ravies de se faire draguer et tripoter et pincer le cul, parce que ça prouve qu’on a de l’intérêt pour elles. Elles s’en amusent, même quand c’est en compagnie de leur mari.
L’auteur fait d’elles les objets de ses fantasmes, les fait parler comme des mecs en rut ; il y en a même une qui drague un homme en disant à deux reprises qu’elle veut le violer !
Et puis il y a les allusions incestueuses, qui rappellent White fire : "Dis-donc frangin, ta fille est de plus en plus belle… Dommage que je sois son oncle…" (page 90).
Avec tout ça, l’intrigue passe au second plan.
Globalement, c’est plus ou moins celle du film : un châtelain millionnaire, Gaspard, épouse une strip-teaseuse, Anouchka (Marie-Paule dans Kill for love), qui le trompe avec un architecte, Thibault, qui est marié à Anna, qui a ensuite une aventure avec Anouchka. Gaspard se fait tuer en se faisant écraser par des barriques de vin, juste après qu’il ait découvert la liaison de sa femme avec Thibault. Quelqu’un aurait retiré une cale qui retenait les tonneaux, mais on ignore qui.
Cependant, à part le début et quelques passages qui ont été reproduits très fidèlement dans Kill for love, j’ai rarement reconnu des séquences précises. Apparemment, Pallardy improvise beaucoup sur ses tournages.
En lisant le bouquin, tu comprends un peu mieux les intentions derrière certaines séquences, et tu te dis que ça n’a pas pu se retrouver dans le film tel quel, par manque de moyens et d’organisation. Dans Amours parallèles par exemple, les deux femmes adultères se retrouvent en boîte de nuit à un moment pour se défouler ; dans le film, elles se mettent juste à danser spontanément dans un pauvre petit bar-PMU, et le spectateur n’y comprend rien.
En tout cas, dans le livre, il y a plus de personnages (dont beaucoup ne servent à rien et disparaissent de l’intrigue au bout d’un temps) et il y a beaucoup plus de scènes de sexe (déjà que le film en avait pas mal).
Il y a une séquence mémorable de dialogue téléphonique au début de Kill for love, tellement non-sensique que je m’étais dit qu’il avait dû y avoir un souci au tournage ou au montage.
Mais non, elle est tout aussi déconcertante dans le roman.
On dirait un dialogue entre 2 aliens issus de planètes différentes, et en plus ce passage confirme ma théorie du scénario recyclé en bouquin, car le narrateur n’est pas sûr du lieu où se trouve Gaspard… comme si on nous décrivait un cadrage trop serré, ne permettant pas de voir l’ensemble d’un décor.
C’est souvent comme ça, et il y a de nombreux paragraphes qui ne font qu’énumérer de petites actions, comme s’il s’agissait d’un découpage technique de plans à filmer. Le narrateur parle même d’images en surimpression !
Pallardy ne s’est pas foulé, il écrit comme il parle, et il ne s’est probablement même pas relu. Beaucoup de répliques se résument à "Hein hein", signifiant, selon le cas, une approbation, ou une désapprobation, ou un ricanement.
Il y a des descriptions absurdes, comme "Anouchka est en furie, les narines dilatées" ou "les dents entrouvertes" (les lèvres, plutôt, non ?), des formules atterrantes où rien ne va : "Elle le fixe un moment, lui sourit. Est-ce un sourire de satisfaction ou un sourire dénudé (sic) de toute sincérité ? Thibault ne le sera (sic) jamais !" (page 227).
Et même sur le papier, JMP arrive à faire des faux-raccords : durant une phrase, un des personnages a ses mains sur les seins de sa partenaire, alors qu’à la phrase suivante, il lui malaxe les fesses, sans que rien dans l’écriture ne laisse penser qu’il y a eu un changement de position. Je pense qu’il s’agit plutôt d’un souci d’inattention.
Au bout d’un moment, j’ai décroché de l’intrigue policière inepte, menée par un duo de flics incapables, qui se laissent frapper et malmener par les suspects, sans rien dire, sans même emmener quiconque au commissariat !
En plus le maire leur met des bâtons dans les roues, insistant pour que l’affaire soit classée comme un accident. On ne sait pourquoi.
Les policiers mettent donc des jours avant d’aller étudier (très vite fait) le lieu du crime, et d’établir que les barriques n’ont pu se détacher toutes seules. Mais l’un des deux veut encore croire à la thèse de l’accident (?!!?)
Pour rajouter une couche d’absurde, la femme de Gaspard prétend qu’il est mort en grimpant sur une des barriques et en sautant dessus, comme un gamin qui joue. Parce qu’il avait trop bu. Je vous laisse imaginer un type de 60 ans sautiller sur des tonneaux de vin d’1 tonne en brandissant une épée, singeant un chevalier.
Pallardy veut créer une aura de mystère en balançant des interrogations bidons en vrac, du genre "Qui est vraiment Machine ? Oui, qui est-elle vraiment ?", mais ça n’est que de la poudre aux yeux, et on se fiche complètement de savoir qui est le coupable.
De plus, c’est difficile à suivre avec tous ces personnages, et la narration est alourdie par des séquences inutiles, l’auteur s’intéressant plus à créer des moments de conflits artificiels, de disputes futiles avec les flics ou les domestiques, plutôt qu’à faire avancer l’histoire.
Tout le monde a de brusques changements d’attitude incompréhensibles, afin d’avoir ces petites altercations à volonté.
Bien qu’au fur et à mesure, la lecture se faisait de plus en plus pénible, il y avait toujours des moments et des dialogues surréalistes :
"Les deux filles glissent leurs doigts sous leur string, ondulent de nouveau puis d’un coup sec les enlèvent, continuant de danser nues comme aux premières secondes de leur naissance (????), à la différence que leurs corps parfaits sont devenus, dix-huit ans et vingt ans plus tard, d’incroyables pièges à sexe (!!!!!)" (page 252)
Amours parallèles, non seulement c’est du grand n’importe quoi, mais en plus ça présente toute une variété d’absurdités, tout comme le film multipliait les formes d’incompétences sur le fond et la forme.
C’est d’une nullité totale et du début à la fin j’ai été estomaqué par tant d’âneries. Et je ne dis pas ça par méchanceté gratuite, c’est juste un ressenti honnête après m’être imposé cette lecture éprouvante et je-m'en-foutiste ; à chaque fois que je tournais une page, je me redisais "c’est n’importe quoi".
C’est vraiment à réserver aux nanardeurs hardcore ; même en adorant Kill for love, j’ai trouvé ça dur à lire.