Pour compléter ma plongée au cœur de la guerre civile espagnole, voilà un magnifique roman, au style incomparable, qui retrace le dernier voyage (et ça n'est pas une métaphore) d'une femme de 75 ans que le destin a accablée et qui souhaite revoir son dernier fils vivant avant de se rendre à la Mort. Sauf que le bambin a plus de 50 ans et est enfermé depuis une trentaine d'années dans une prison franquiste, un de ces pourrissoirs où les fanatiques n'hésitent jamais à enterrer leurs contraires, parce qu'ils ne supportent pas l'idée que des gens trop différents puissent se balader au grand jour. Ça les asphyxie, ça les prive de leur tranquillité, ça leur pourrit la vie, ils n'ont donc d'autre choix que celui de l'inhumanité. Ana Paücha ferme donc sa petite maison en bord de mer et s'en va, pour toujours, elle le sait, avec un petit pain anisé et fortement sucré destiné à adoucir la captivité du petit. Il n'y a pas d'autre histoire. Juste ça. Une mère, que la guerre a privée de son mari et de deux de ses fils, s'en va voir le 3ème, enfermé à perpétuité pour communisme. Après, le chemin est long et les rencontres variées. Jamais on ne la quitte, on ne voit qu'elle et la prose poétique d'Agustin Gomez-Arcos l'enveloppe d'un écrin de tendresse qu'on a du mal à quitter. Malgré tout, le récit coupe comme une lame affûtée. Il tranche dans le vif. On saigne à chaque page ou presque. Mais ça n'est pas pour autant qu'on lâche l'affaire car il y a une sorte d'enchantement dans la fréquentation d'une humilité qui confine à la sainteté, l'ennui en moins. L'un des meilleurs livres que j'ai lus ces dernières années, d'une beauté et d'une simplicité saisissantes.