Antigone, on sait ce que c’est : son intrigue a fait ses preuves, les tragiques grecs avaient posé des fondations anti-sismiques, Anouilh fera un petit accroc à la couverture en la tirant du côté de l’Histoire, la force du mythe en compense la relative pauvreté. Cocteau, en butineur de l’entre-deux-guerres, le « survole » (p. 9 de l’édition « Folio »), c’est-à-dire qu’il donne libre cours à son sens de la formule (« Voilà beaucoup d’orgueil pour une esclave… une esclave du devoir », Créon, p. 26) et à quelques digressions généralisantes : « Celui qui s’imagine avoir seul la sagesse l’éloquence, la force, s’expose au ridicule. L’intelligence permet de se contredire. » (Hémon, p. 36).
Les Mariés de la Tour Eiffel, c’est autre chose : lire ce livret de ballet revient à peu près à lire un scénario de film ou à voir en noir et blanc un tableau peint en couleurs. Cela dit, il y a de bons scénarios à lire — parfois plus prometteurs que le film lui-même —, et certains tableaux ne gagnent rien à la couleur. Le texte de Cocteau est surtout connu par la fameuse formule sur les « mystères » qui « dépassent » (p. 87), et dans une moindre mesure parce qu’il n’y a que deux voix, jouées par des « phonos » interprétés par des comédiens… Trente ans avant Beckett, oui.
De toute façon, c’est du Cocteau, ça se lit vite, et on oublie facilement si on n’aime pas. D’ailleurs, si Cocteau reste encore lu, c’est parce qu’il est plus provocant que provocateur : « jamais je n’aurais fait cet effort mortel pour des enfants ou un époux. Un époux, un autre peut le remplacer. Un fils, on peut on concevoir un autre. Mais comme nos parents sont morts, je ne pouvais espérer des frères nouveaux. » (Antigone, p. 45), ça a l’air choquant au premier abord, mais c’est vrai, et c’est éternel.