Maître du "néo-réalisme de l’intérieur" comme le disent certains, Michelangelo Antonioni (1912-2007) apparaît à première vue de par son style si épuré comme un cinéaste d’une grande complexité. À partir de là, on pourrait se demander comment ces œuvres si mystiques peuvent se dévoiler à nous de la meilleure des manières. Et si en plus de cela, vous vous posez des questions sur la vie d’Antonioni, celle d’un battant de cinéma, eh bien, lisez ce livre.
Ami du cinéaste et critique d'art, Aldo Tassone exécute cette mission de nous faire découvrir celui que l’on a réduit sans cesse au thème de l’incommunicabilité. D’une grande rigueur, Tassone part de la vie de l’artiste puis nous renseigne sur sa période (trop occultée) de critique de cinéma dans le Corriere Padano, revue dans laquelle il plébiscitera un cinéma réaliste qui dégage une poésie véritable. Ensuite, le livre parcoure toutes les œuvres de la filmographie de l’artiste, de ses courts-métrages documentaires réalistes jusqu’à ses derniers longs-métrages en passant par ses projets avortés. C’est l’occasion pour nous de résumer synthétiquement les actions du film complétées par une analyse et des citations de l’époque autour de ce même film par des critiques contemporains. On découvre alors le manque d’ouverture des critiques contemporains jusqu’aux années 1960, avec le choc de L’avventura. Ensuite, c’est une pause dans le sens où le livre met en avant la période picturale du cinéaste dans les années 1980. Le chapitre suivant porte un regard intéressant justement sur l’œil cinématographique d’Antonioni : mélange d’analyses et de ce qui animait le cinéaste concernant ses images si travaillées notamment la question de la place de l’Homme moderne. Le livre se clôt sur une rubrique d’entretiens, entre Antonioni et Tassone, dans laquelle l’une des limites du livre est bien présente. En effet, on pourrait regretter que l’auteur du livre soit un peu trop indulgent dans ses critiques des films et même à certains moments beaucoup trop dithyrambiques à l’égard de ceux-ci. Mais, bien sûr, on pardonne dans la mesure où les deux personnalités étaient amis dans la vie.
Enfin, il est intéressant de dire que le bouquin est bourré de citations contemporaines aux œuvres d’Antonioni. Et ainsi, de par tous les regards, qu’il s’agisse des critiques ou des cinéastes influencés par le réalisateur italien comme Resnais ou Rohmer, une transformation opère dans notre vision d’Antonioni. Inconnu avant d’ouvrir le livre, grâce au travail très élaboré de Tassone, le réalisateur de L’Éclipse se dévoile et se révèle être un esthète poète crucial du cinéma moderne.
Ainsi, c’est une belle découverte, que ce soit l’œuvre d’Antonioni ou le livre de Tassone !
« Subtil analyste des sentiments, génial créateur d’images, de formes, d’atmosphères, doté d’un style sans équivalent, Antonioni est un esthète qui perçoit le monde avec le regard et le cœur d’un authentique poète. Il n’est pas comme on l’a trop souvent affirmé, ce philosophe, ce sociologue, ce réalisateur d’avant-garde qui cultiverait la modernité pour elle-même, ni ce chroniqueur de la bourgeoisie décadente dont on est allé jusqu’à dire qu’il était comme le ver dans la pomme de la conscience bourgeoise. C’est un artiste doué d’un prodigieux regard cinématographique. »