Dans Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants, Kenzaburô Oé raconte la tranche de vie d'un groupe d'enfants délinquants dans un village.

Au cœur d'un hiver au Japon, en pleine guerre mondiale, ces enfants dont on ne saura rien, ni leur passé, ni leur noms, sont amenés dans un village de paysans par l'éducateur de la maison de correction, village qui leur apportera abris, nourriture, et travaux. Voilà la promesse du voyage qui attend ces enfants et les réjouit. Mais la réalité est bien loin de ces espérances: déjà traités comme des sous-hommes avant d'arriver au village, ils sont réduits au statut de bétail, enfermés dans un hangar, à peine nourris de pomme de terre rassies, une fois arrivée au village. Puis, semble s'abattre une épidémie meurtrière, qui provoque la fuite des villageois, laissant à l'abandon, enfermés dans leur cage, les enfants. De là, on suit leur vie au sein de ce village fantôme de captifs abandonnés, jusqu'au retour des villageois...

Le narrateur de ce livre est un des enfants, on suit donc l'histoire du point de vue d'un des "délinquants", anti-héros s'il en est de ce roman. A travers lui, l'auteur parvient à décrire avec une effroyable justesse les sentiments qui nous animent, nous êtres humains, avec économie de mots et pertinence. Ce livre est saisissant, dérangeant, chargé de toute la violence dont est capable la nature humaine, dans lequel les notions de bien et de mal n'ont plus de sens et où l'innocence est anéantie.

"J'avais le dos et les cuisses trempés de sueur glacée, j'y étais plongé jusqu'à la tête. La "mort" signifiait pour moi mon absence dans cent ans, dans des siècles, dans un avenir indéfiniment lointain. Même dans cette période lointaine, il y aurait des guerres, des enfants seraient détenus dans des maisons de correction, certains se prostitueraient à des homosexuels, mais d'autres mèneraient une vie sexuelle tout à fait saine. Mais alors je ne serais plus là. [...] Malgré un pénible effort pour m'endormir, j'étais trop écrasé par l'image de la mort, désespérante à me rendre fou et si pesante. Quand je commençai à entendre la respiration paisible et angélique de mon frère, j'étais si jaloux que je perdis toute tendresse à son égard. Dans le village dormaient - s'ils ne souffraient d'insomnie - les délaissés et les morts sans sépulture, alors qu'en dehors du village, d'innombrables personnes, malveillantes, dormaient toutes sans exceptions à poing fermé."
MarloneM
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le 26 oct. 2014

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