Ma critique contient des spoilers.
J'ai lu, on va dire : à la volée, entre hier et aujourd'hui, ce roman (192 pages d'une typographie aérée) de Philippe Besson qui vient de paraître. C'est un auteur que je connaissais de nom (et ne confondais pas avec Patrick Besson) sans avoir jamais rien lu de lui auparavant. Hier au soir, j'avais 50 minutes à tuer avant le début de ma séance de cinéma. Entrant dans la librairie attenante, j'ai commencé à lire ce mince volume, d'abord en diagonale puis plus attentivement, et ne l'ai plus lâché pendant les 50 minutes dont je disposais. Ma lecture express (et "gougnafière") m'a mené jusqu'à la page 142 (ce qui signifie que, pressé par le temps, j'en ai sauté un certain nombre, ce que je ne fais jamais d'ordinaire et heureusement).
Je dois dire que plus j'allais, plus j'étais intéressé par l'histoire (un romancier, l'auteur, venu faire à Bordeaux une séance de signatures de son dernier livre, se remémore, à l'occasion d'une rencontre fortuite, un garçon qu'il avait aimé 20 ans auparavant au lycée de Barbezieux - petite ville de Charente, à 80 km de la métropole bordelaise -, alors qu'ils étaient en terminale tous les deux mais pas dans la même section), si bien que cet après-midi, je suis retourné lire les 50 dernières pages du roman. Le temps ne m'étant plus compté, celles-là, j'ai pu les savourer sans en sauter une ligne et réfléchir à ce que je lisais.
C'est un texte bien écrit, très simplement (la simplicité, en littérature, n'est jamais facile à obtenir), sobrement. L'histoire est émouvante, mais évite tout sentimentalisme (comme il est dit quelque part sur la jaquette couleur de ce roman aux allures de récit autobiographique). J'ai sûrement un peu honte de l'avoir lue en goinfre, mais du moins je l'ai lue et j'y ai appris "des choses". C'est une histoire triste et touchante qui fait revivre les premières années de l'auteur et plus particulièrement l'amour de jeunesse qu'il éprouva pour un certain Thomas Andrieu (ressemblant assez, physiquement, au garçon montré sur la jaquette du livre). De ce Thomas, Philippe Besson n'a d'ailleurs pu prendre, à ce qu'il dit dans son roman, qu'une unique photo, au temps de leurs amours à 17-18 ans. Cette même année, tous deux ont obtenu leur bac. Puis les vacances et plus généralement "les circonstances" les ont séparés et ils se sont perdus de vue (comme ça, sans vraie raison, en tout cas dite).
Philippe Besson n'a pas caché son homosexualité et est devenu écrivain. Thomas Andrieu a, lors des vacances post-bac évoquées deux phrases plus haut, rencontré une jeune Espagnole, l'a mise enceinte et sur l'insistance de Mme Andrieu mère, l'a épousée.
Philippe et Thomas ne se sont plus jamais revus (encore une fois : pourquoi ?), mais Philippe, comme écrivain, passait à la télé dans les émissions littéraires ; on pouvait donc, plus ou moins, suivre sa vie à distance. Thomas Andrieu avait repris la ferme charentaise de ses parents et y vivait avec sa femme et leur fils. C'est ce fils (Lucas), qui ressemble comme deux gouttes d'eau à son père, que Philippe aperçoit 20 ans plus tard à Bordeaux, lors de la signature de son dernier bouquin. Ils entrent en conversation, Lucas l'identifiant au premier coup d'oeil comme l'écrivain ami de lycée de son père. Etc., etc.
Comme dit plus haut, j'ai dévoré ce bref roman, selon toute apparence, autobiographique (mais... "arrête avec tes mensonges", donc méfiance).
En revanche, le message que l'auteur fait passer dans les 50 dernières pages m'a interpellé, voire contrarié. J'ai eu l'impression que son raisonnement était le suivant : Moi, Philippe Besson, écrivain, j'assume mon homosexualité, je la vis vaille que vaille, tout n'est pas rose, mais ça va à peu près, je me débrouille ; Thomas Andrieu, lui, n'a pas su clairement choisir entre homosexualité et hétérosexualité, n'a pas voulu vivre à visage découvert son penchant pour les garçons. Il n'aurait pas dû se marier. Résultat, il a été malheureux toute sa vie d'adulte, au point finalement de quitter sa femme (lui abandonnant sa ferme et tous ses biens, favorisant leur divorce et permettant à son ex. de repartir en Espagne et de s'y remarier), puis la Charente sans laisser d'adresse, pour probablement vivre son homosexualité de façon clandestine, avant de revenir enfin à Barbezieux, s’y réinstaller dans le dénuement, sans lien social autre que les rares visites de son fils et finalement... se pendre. Ai-je bien compris ce que Philippe Besson nous signifie avec cette histoire ? En tout cas, quel destin affreux pour le charmant jeune homme évoqué par la jaquette de ce volume !
Les 192 pages de celui-ci le sauvegardent-elles dans nos mémoires (à défaut, puisqu’il n’est plus temps, de le sauver) ? Est-ce une rédemption littéraire, l'éternité de l'art, que Philippe Besson tente d'offrir, via ce douloureux récit, au garçon jadis aimé ? Une façon de s’apaiser lui-même ? Et que pensera Lucas Andrieu du roman qui retrace la vie de son père ? Pardonnera-t-il à l'écrivain l'indifférence dont il a fait preuve toutes ces années vis à vis de celui qui fut son premier amour ?
Je reste perplexe... comme je le suis sur le message implicite du livre (ou alors je n'ai rien compris à son contenu que j'ai, il est vrai, plus parcouru que lu) qui dit quelque chose comme : arrêtez de mentir, vivez votre homosexualité à visage découvert, vous serez beaucoup mieux dans votre peau, plus heureux.
Je doute beaucoup que ce "conseil" soit d'une grande utilité pour les jeunes gens qui cherchent un job et à s'insérer aussi vite et harmonieusement que possible dans la société d'aujourd'hui.
Je leur rappellerai plutôt celui du Cardinal de Retz : "On ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment" ; bien qu'il date du 17ème siècle, je le trouve tout de même beaucoup plus réaliste. Et cet autre du grand Balzac : "La discrétion est le plus habile des calculs".
P.S. Qu'on se rassure s'il est besoin : j'ai finalement lu le roman dans son intégralité, sans en sauter une ligne. Mon impression générale reste la même, c'est un bon roman, bien construit, bien écrit (dans un style très fluide), un texte touchant et d'une émotion contrôlée.
Je trouve néanmoins que l'auteur se donne un peu trop le bon rôle tout au long de l'histoire.
Et s'il n'a pas renoué, ne serait-ce qu'amicalement, avec Thomas, après que Lucas (le fils de celui-ci) lui a communiqué le n° de téléphone de son père et obtenu en échange celui de l'écrivain pour le transmettre à son père, la responsabilité lui en incombe pleinement, car c'est lui (parce qu'écrivain reconnu, donc un peu sur un piédestal ) qui doit appeler son Mr. Nobody d'ami (Thomas) et non l'inverse : si Thomas appelait, il aurait l'air de quémander le redémarrage de leur relation et que son amoureux de jadis veuille bien lui re-tendre la main. Lucas a pourtant clairement dit à Besson que son appel ferait plaisir à son père (Thomas) et que celui-ci en avait bien besoin, mais l'écrivain se (et nous) donne une série de bonnes raisons pour ne pas l'avoir fait. Pourtant, va-t-en savoir si Thomas ne se suicide pas finalement parce qu'il est rejeté ou ignoré de tous (à part son fils), y compris par son amour de jeunesse.