Le premier passage de Marc-Édouard Nabe à la télévision, lors de la parution de ce premier livre, permet de saisir le ton du personnage. À vingt-six ans tout juste, Nabe débarque chez Pivot pour heurter ses conceptions absolutistes à la médiocrité de toute la culture molle qui l'entoure, les petits écrivains prétentieux, médiocres et satisfaits, qui l'écœurent, l'ennuient, le navrent. Très vite on comprend qui il est : ce Nabe est possédé par son affectivité, il lui est nécessaire de s'impliquer de tout son être dans ses idéologies, ses valeurs et sa production. Il ne croit que lui-même, affiche et exacerbe tous ses ressentis ; mépris, haine et intense passion par qui il existe et se définit. Les opinions qu'il assène avec conviction et provocation lui valent de se faire casser la gueule après l'émission par le journaliste Georges-Marc Benamou qui débarque sur le plateau dès la fin du tournage.

Intrigué par ce personnage qui a pris le soin de saborder sa carrière dès le départ, je suis allé acheter son livre dans une boutique de cosmétiques bio du XVe arrondissement — Nabe a retiré ses œuvres du commerce, il les édite lui-même et les distribue dans des boutiques parisiennes : fleuristes, boucheries… jouissant de voir ses livres ainsi exposés parmi les quartiers de viande crue.

On retrouve bien le même personnage dans son livre. C'est pratique d'avoir vu cette vidéo d'abord, ça permet de lui donner une voix. On l'entend brailler, glapir, gueuler trois cents pages durant et avec les mains et les lunettes rondes ! Dans ce premier livre donc, Nabe se présente. Se dévoile dans toutes ses contradictions. S'implique jusqu'au malaise. À la troisième page il décrit ses couilles, cent-cinquante pages plus tard ses parents, dans toute l'intimité d'un fils unique, d'un fils inique, un fils cynique ; cent pages après, sa femme jusque dans le lit. Il décline les modalités les plus crasses de son environnement, ses opinions, son entourage, son approche de la vie et de la Littérature, tout ce qu'il vénère : Céline, Bloy, le Jazz, sa femme, il n'en tarit plus d'éloges pour ceux-là. Et ce qu'il décrie : tout ce qui reste. Il assassine encore les mous, les fatigués, les vides. Les vieux, les Blancs, les Juifs pour la forme, les étudiants, les branchés et tous les autres. Il est passionné Nabe, c'est un furieux, et il y croit lui, dur comme fer, à son authenticité qui le rend si différent et si incompris. Il est tellement fidèle à lui-même qu'il plonge, se livre, se sacrifie, ouvre tout grand à sa Littérature sa subjectivité, que son œuvre suffise à l'inclure et le représenter tout entier. Quelques années plus tard il publiera son journal en plusieurs volumes, racontant tout, tout cru, jusqu'à en crever, seul et abandonné après avoir tout sacrifié sur l'autel de la Littérature. Ce ne sera que la prolongation du mouvement qu'il entame en publiant Au Régal des vermines.

Bien sûr sa complaisance peut vite exaspérer, mais ici c'est un bonheur de le suivre jusqu'au bout, de se vautrer dans son vomi démiurgique, son rejet de tout, à s'exalter toujours pour ce qui trouve grâce à ses yeux. On perçoit alors la beauté de cette entreprise de sacrifice affectif, l'Amour enfin qui le pousse à tout railler ainsi. Nabe se donne en spectacle, il est insupportable de pathétique mais par-dessus tout il est sincère et amoureux, intense et passionné et c'est pourquoi le lire est si poignant.
ɾuǝq
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le 11 août 2013

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le 11 août 2013

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ɾuǝq

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