Le cas Nabe
Je me lance dans cette critique, et je ne sais toujours pas quelle note je vais mettre à ce bouquin. Un style tout en salissures, la “gerbe d’or” d’un mec qui pourrit tout ce qu’il touche, ou bien...
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le 7 déc. 2019
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Je me lance dans cette critique, et je ne sais toujours pas quelle note je vais mettre à ce bouquin.
Un style tout en salissures, la “gerbe d’or” d’un mec qui pourrit tout ce qu’il touche, ou bien qui le sublime. Un déversoir de haine et de passion, une philosophie de la négation et du renversement. Sa plume, c’est du Bloy digeste. Contrairement à Bloy, on n'est pas obligé de sortir le dico toutes les deux secondes. Si je n’avais à juger que le style, ce serait un 11/10. C’est le livre que vous allez régulièrement sortir de vos étagères, juste pour relire des passages. À voix haute bien sûr. Moi j’y ai sans cesse picoré des citations que je lançais à ma copine pour voir son visage se décomposer. Ce livre serait un bug dans le logiciel interne des littérateurs littérarisants. Ça leur tomberait des mains, ils ne sauraient pas quoi faire de cette poésie qui tâche. Preuve que le style est grand : c’est qu’on essaie aussitôt de le reproduire.
MAIS (car il y a un mais) je ne sais pas quoi faire de certains discours. Et donc au-delà du style-Nabe, il nous faut aborder le discours-Nabe.
Pas que je sois choqué. Rien ne me choque. C'est plus une question de discordance. Parfois j'ai trouvé le discours brillant, d’autres fois surfait. Ce qu’il dit des jazzmen est passionnant. Ses mots sur le fascisme et la littérature de droite ? Intéressants. Ses propos sur les femmes ? Immensément dégueulasses, et donc immensément drôles. Sa vision de l’art, ses paragraphes passionnés envers ses idoles ? Probablement là où il brille le plus. Il faut l’écouter parler de Céline, il en parle mieux que tout le monde. En revanche quand il sort des choses comme « ma littérature assassine six millions d’individus » ou « les nègres sont la race supérieure » je ne crois plus en lui, je n’y vois que des formules creuses pour choquer sur les plateaux télé.
Alors oui, on se marre pas mal. Ça tacle non stop. Mais si on fait la somme de toutes les saloperies déversées par Nabe, on arrive à un résultat assez aberrant qui signifie soit qu’il est vraiment un mec moralement impossible, soit qu’il surjoue, qu’il aime faire déborder sa coupe pleine de poison pour toucher des victimes collatérales.
Certaines réflexions font de lui un écrivain, un vrai. Mais beaucoup d’autres ne mènent à rien. Nabe cultive l’excès. Dans ses élans, il finit par tirer dans tous les sens. Reste que l’excès me touche moins s’il n’est pas sincère. Et avec Nabe, difficile de savoir ce qui est sérieux ou non.
L’impression qu’il joue au type détestable pour singer ses maîtres à penser. Impossible de ne pas voir dans son style l’ombre de ses idoles. Nabe écrit comme il écrit, et dit ce qu’il dit, parce qu’il veut marcher dans les traces de Bloy et Céline. Mais est-ce que Bloy et Céline voulaient marcher dans les traces d’un autre ? Vous voyez où est le problème ? Bloy et Céline avaient des choses à dire sur leur époque qui étaient d’autant plus dérangeantes qu’elles étaient pertinentes. Derrière la hargne, il y avait une vérité. Nabe on ne voit pas trop ce qu’il a à nous apporter. Il donne surtout l’impression de vouloir vociférer pour la posture.
C’est important, c’est même essentiel. Ça fait toute la différence entre un bon et un mauvais polémiste. Un mec haineux mais sincère aura toujours plus de noblesse, qu’un mec qui fabule un peu. Car vient un moment où on ne lit plus qu’à distance, puisqu’on ne sait pas si la pensée est honnête.
Dostoïevski avait posé le problème de façon magistrale avec ses Carnets du Sous-Sol (lisez, relisez les Carnets !). Le type plein de contradiction, vomissant sur tout le monde, mais cherchant la reconnaissance. Le type dont on est séduit par la pensée, jusqu’au moment où il formule une pensée contraire. Nabe est de ceux-là.
Peut-être que son problème est qu’il n’est pas sérieux, il l’est à-demi. Il ne fait que jouer à l’écrivain exclu. Il s’exclut lui-même. Il se retire de la scène littéraire, mais depuis les coulisses continue à regarder si on parle de lui. Trop soucieux de sa renommée, il n’a jamais abandonné l’idée d’être reconnu. Or, à mon sens, pour être grand, il faut abandonner le quête de la renommée, se foutre du qu’en dira-t-on, se sacrifier pour ses idées.
Malgré ça, malgré ce sentiment qui m’empêche aujourd’hui de voir en lui un grand écrivain - et peut être que ça changera - j’ai quand même envie de poursuivre ma découverte. Ce serait une connerie de se priver d’un tel plaisir. Puisque chaque page, même remplie d’inepties immodérées, est un régal de lecture.
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le 7 déc. 2019
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