On ne peut forcer personne à aimer une oeuvre. C'est inutile et agaçant, et puis chacun sait qu'en vérité nos coups de cœur tiennent plus souvent de la surprise que d'une écoute forcée et assidue. C'est encore plus vrai quand l'oeuvre est bancale. The Wall est bancal, j'ai toujours compris ceux qui le boudaient, ceux qui se dirigeaient vers la perfection mécanique et quasi divine d'un Dark Side of The Moon et qui délaissaient le monument imparfait qu'est The Wall. Mais comme je viens de le dire, les coups de cœur c'est avant tout une histoire de surprise, une histoire de découvertes inattendues et The Wall c'est mon plus gros coup de cœur.
C'était en 2010 à l'époque où je commençais à me diriger vers le rock. J'avais été longtemps dans le rap, je n'y puisais plus rien, mes oreilles avaient besoin d'un son nouveau. Je tâtonnais, je cherchais sans grand succès et un jour je suis tombé sur The Wall. Inutile d'expliquer comment j'y suis arrivé, l'important c'est que j'y suis arrivé et que j'ai plongé mes oreilles dans un album dont personne ne m'avait parlé, je tiens bien à le préciser. Mes parents et le rock ça fait deux. Aucun grand frère, aucun mélomane dans ma famille, ni même dans mes amis à cette époque pour m'orienter vers Pink Floyd. J'y suis allé de moi-même, vierge de toute attente. Seulement pour le gout du risque. Et il y a eu quelques premières écoutes qui ne furent pas fructueuses, mes oreilles avaient été longtemps habituées à un tout autre genre musical, mais un jour le déclic est arrivé. En hiver la nuit, faute de bus je rentrais sous la neige à pied pour 40 minutes de marche dans un décor à la Shining. Là je fixais mon casque sur les oreilles et je me lançais dans The Wall.
Le choc
In The Flesh, The Thin Ice, Mother, Young Lust, Is There Anybody Out There....sous la neige, dans l'air glacial la musique prenait une forme magique, majestueuse et effrayante. Le coup de cœur quoi ! Peut-être même plus. Une révélation. Quelque chose qui se vit seul, qui ne concerne que nous et la musique. A cet instant j'ignorais que certains pouvaient bouder cet album. Pour moi c'était la perfection car c'était une expérience vécue pleinement. Très vite The Wall m'est apparu non comme un album bien calibré aux enchaînements musicaux irréprochables mais comme une oeuvre folle, grandiloquente avec des hauts et des bas, des moments majestueux de rock'n'roll et des moments de pures folies, viscérales, psychotiques. Mon esprit était littéralement emporté ailleurs, il n'était plus apte à juger, à dire si tel morceau ou tel autre était bien ou non, il était pris dans un tourbillon, dans une montagne russe émotionnel. Il jouissait une seconde pour mieux souffrir la seconde après. Et je n'avais jamais connu ça. Jamais ! Même avec le meilleur album de rap. Je n'y étais pas habitué ! Je ne m'y étais pas attendu et ça m'a happé comme ça sans prévenir.
Presque un an après, complètement fou de cet album j'ai dépensé tout mon fric pour aller voir Roger Waters à Bercy le jouer sur scène. Et là c'était la seconde révélation. The Wall n'est pas un album, c'est un spectacle. Tout est pensé pour la scène. Tout est question de mur gigantesque, de projections animées, de jeux de lumières et d'illusions, tout s’imbrique parfaitement. Le souffle que j'ai ressenti seul sous la neige dans mon casque, je le ressentais une nouvelle fois avec une force décuplée, entouré d'une foule qui ressentait la même chose, la même ferveur, qui vivait le même instant.
Et depuis on m'a souvent dit que The Wall était imparfait, que Dark Side était bien meilleur, que c'était indéniable et qu'il fallait être objectif mais l'objectivité n'a rien à voir avec la musique. Pour moi The Wall est un album unique, il continue et continuera à m'emporter dans un monde aux humeurs multiples. Un voyage dans la folie et la solitude dont le guide est Roger Waters. Un voyage avec ses phases lumineuses et magiques comme Comfortably Numb et ses phases noires et douloureuses comme Don't Leave Me Now. The Wall est un album passionnel, et son imperfection fait de lui un album parfait. Un album vivant, un album personnel pour celui qui l'aime, un album risqué, mégalomane mais audacieux, un album qui signe l'apogée d'un groupe, un album qui ne vise même pas la perfection mais qui vise l'émotion avant tout quitte à dépasser les limites musicales.
Et je me fou comme l'an quarante de savoir que Waters était un connard. Je connais le contexte et il n'entache pas la musique, il l'explique seulement. On pourra alors me répéter tous les arguments les plus justes et les plus constructifs pour m'expliquer pourquoi précisément cet album n'est pas le meilleur de Pink Floyd, en quoi il est bancal et en quoi il n'est plus vraiment Pink Floydien, je m'en carre totalement. Peut-être que c'est ce que Pink Floyd là que j'aime moi.