En voilà un objet culturel complexe et clivant. Si le livre et surtout le film ont maintenu une aura de mastodonte durant tout le XXe siècle, cela fait désormais quelques temps que le phénomène Gone With the Wind est revu à la baisse. La faute au sujet même du film : retracer la disparition d’une civilisation, le Sud-américain pré guerre de sécession et dépeindre tout cela comme une véritable tragédie. Adieu cette bonne vieille aristocratie qui sent bon le balai dans le cul et les mœurs ultra patriarcales et républicaines. Adieu cette terre de coton amoureusement cultivée par des esclaves tout à fait satisfaits de leur condition. Saleté de yankees, regardez ce que vous avez détruit !


Sauf qu’en fait oui…mais en fait non.


Si les remarques racistes et les allusions franchement scandaleuses parsèment le livre et le film, réduire Gone With the Wind à cela serait une faute de goût assez regrettable. Ce qu’il serait encore plus regrettable, ce serait de cacher cette œuvre sous le tapis et de faire comme s’il n’avait jamais existé. Comme si le film n’avait pas influencé tout un système de production hollywoodien pour les trente années qui ont suivi sa sortie. Et puis il n'y a aucun intérêt à cacher les erreurs du passé. Au contraire, il faut s'y confronter, les questionner, en débattre. C'est ce qui justement, nous empêche de commettre une nouvelle fois les atrocités d'antan.


Oui, lire et voir Gone With the Wind m’a dérangé et troublé à certains instants. Mais ce que j’ai surtout vu là, c’est un témoignage d’une autre époque et d’un système de pensée radicalement différent de celui du XXIe siècle. Plusieurs éléments sont absolument abjects et m’ont fait grimacer. Il y a notamment ce passage dans lequel il est expliqué que les « noirs sont comme des petits enfants ou des singes qu’il faut tenir par la main car ils ne savent pas se gérer eux-mêmes ».


Abject.


Mais encore une fois, quand j’ai commencé ma lecture de Gone With The Wind, c’était pour me confronter à ça. Parce que j’avais cette curiosité d’assimiler et de comprendre la vision des sudistes à cette époque. Et même si je demeure fondamentalement contre cette vision (et qui serait pour aujourd’hui ?), cette fresque historique de la chute de l’État Confédéré a été particulièrement palpitante.


Et à présent, je parle du roman. Car même si ce début de critique laisse entendre que j’estime le livre et le film de la même manière, il n’en est rien. J’ai largement préféré le roman au film. Rien que ça. Et pourquoi donc ?


Parce que le livre est plus fourni. Tout naturellement.


Mais au-delà d’être plus fourni, il évite par ce biais, tous les écueils dans lesquels tombe le film. Si Scarlett O’Hara est une connasse détestable aux agissements franchement condamnables dans le film, elle l’est aussi dans le livre mais avec beaucoup plus de nuance.


A mon sens, Gone With the Wind est une histoire de chute et de reconstruction. La chute d’une civilisation et aussi la chute d’un mode de vie. Scarlett est une jeune fille qui ne pense qu’à draguer les soupirants de ses voisines juste parce qu’elle le peut, et sa seule préoccupation est de conquérir le cœur d’Ashley Wilkes. Bref, en un mot commençant, elle n’a à penser que ce que le monde dans lequel elle vit ne l’incite à penser.


Passées la prise d’Atlanta et la chute de l’État Confédéré, Scarlett doit à présent se préoccuper de nourrir sa famille, payer les impôts pour conserver sa terre, gérer une scierie, bref, elle s’affermit en tant que survivante. Et c’est justement tout cela qui est passionnant à suivre dans Gone With the Wind : cette nécessité pour Scarlett de s’affermir comme une femme entreprenante dans les vestiges d’un monde qui ne cesse de voir cela d’un mauvais œil. Scarlett est la seule à se démener pour survivre quand tous les autres se laissent docilement mourir en repensant bêtement à ce bon vieux temps d’avant-guerre.


La guerre a brisé une civilisation, mais elle a brisé tous les codes moraux de Scarlett. Car les mœurs et le code d’honneur, c’est rigolo quand on peut se laisser vivre, mais quand il faut prendre les choses en main pour ne pas mourir de faim, il faut savoir faire des choix parfois discutables voire immoraux. Et c’est sous ce prisme que je trouve la lecture de Gone With the Wind passionnante. Parce qu’en plus d’être une brillante fresque historique, c’est une passionnante odyssée d’une femme qui se reconstruit entièrement pour survivre, quitte à être la pire des connasses. Tout ce qui manque au film en fait.


Alors oui. Il y a toujours ce racisme qui parsème le livre. La validation de l’esclavagisme, du Klu Klu Klan et du comportement atroce de Rhett. Toutes ces choses abjectes qui m’empêchent d’apprécier plus que ça le livre. Parce que sinon, je ne trouve franchement rien à redire. Les personnages sont vivants et passionnants à suivre. Le bouquin tient parfaitement la route sur ses mille-cinq-cents pages. Margaret Michtell écrit brillamment écrit. Peut-être, la traduction a un rôle à jouer, mais dès qu’il s’agit de plonger dans le lyrisme, Gone With the Wind est un bijou d’écriture et les dialogues sont faits aux p’tits oignons.


Bref, ce fût un périple assez unique et je ne suis pas mécontent de l’avoir vécu. Après, il faut savoir faire la part des choses. On peut comprendre voire agréer à l’importance et à la qualité du roman tout en pointant du doigt ses défauts et ses travers. Mais je continue de penser que ce genre de lecture est nécessaire même si elle peut amener de la gêne et de la révolte. C’est justement ça qui en fait un objet d’étude intéressant, surtout sous le prisme de notre époque et des mœurs actuelles.


Assurément un grand livre, surtout à son époque, mais à prendre avec des pincettes aujourd’hui.


James-Betaman
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le 18 mars 2024

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